Biodiversité: protéger les espèces plutôt que les kilomètres
Augmenter les aires protégées est un objectif qui semble faire l’unanimité à chacun des sommets des Nations unies sur la biodiversité. Mais une augmentation devrait être basée avant tout sur la quantité de biodiversité, et non sur le nombre de kilomètres carrés.
Dans le cadre de ce sommet qui a lieu à Montréal jusqu’au 17 décembre, un chiffre circule en effet beaucoup : 30 %. En vertu de ce chiffre, l’ensemble des gouvernements devraient se donner pour objectif de doubler les aires protégées dans le monde — c’est-à-dire les zones qui sont protégées de la surpêche, de la déforestation, de l’expansion urbaine, etc. — de manière à atteindre, d’ici 2030, un total de 30 % des terres et des océans.
Lorsqu’ils abordent cette idée d’une augmentation radicale de la superficie, les experts donnent souvent en exemple l’attribution du statut de « monument national » à la région de la fosse des Mariannes, dans le Pacifique : le gouvernement américain avait attribué en 2009 ce statut à cette région de l’océan qui est sous sa juridiction, ajoutant d’un seul coup quelque 250 000 kilomètres carrés à la liste des aires protégées.
Les écologistes vantent cet exemple comme un modèle à suivre, mais le problème est que cela protège un territoire qui n’était pas soumis à beaucoup de menaces pour ses espèces marines. À l’autre extrémité du spectre, le gouvernement mexicain avait attribué la même année le statut de « parc national » à une toute petite zone d’une quarantaine de kilomètres carrés, mais qui protège le récif de corail Cabo Pulmo, dans le golfe de Californie.
Toute expansion d’une zone protégée ou d’un réseau de zones protégées devrait donc être « basée sur la biodiversité plutôt que sur la superficie totale », commente le professeur en sciences de l’environnement David Williams, de l’Université de Leeds, en Angleterre. « L’inquiétude, c’est qu’une grosse cible comme ces 30 % englobe différents objectifs. »
Williams est l’auteur principal d’une étude parue en juin dernier, qui estime que les zones actuellement protégées, même si elles étaient toutes bien gérées, ne réussiraient pas à protéger la moitié des espèces de mammifères.
Interrogé par le magazine environnemental E360, il donne en exemple le Groenland : « de grandes parties sont protégées, mais ne sont pas menacées, alors à quoi sert vraiment cette protection ? » L’écologiste allemand Christian Hof renchérit : « l’expansion sans coordination des zones protégées peut résulter en un gaspillage de ressources ».
Le gouvernement australien a ainsi ajouté en 2019 d’immenses territoires à la liste, au point où 50 % des terres ont à présent le statut « protégé ». Mais ne figure pas dans cette liste la Grande Barrière de corail, une des plus grandes richesses mondiales de biodiversité.
Une étude de l’évolution des zones protégées depuis 2010, parue en 2020, concluait que cette expansion « avait eu un succès limité » pour améliorer la protection « à travers différents éléments de la biodiversité ».
Tous les observateurs conviennent que la valeur d’une zone protégée devrait être fonction, non de sa taille, mais de facteurs comme le nombre d’espèces qui s’y trouvent et leur rareté. La question de la connectivité entre deux aires protégées devrait également être prise en considération : si un animal ne peut plus se rendre du point A au point B comme il le faisait auparavant (à cause d’une autoroute qui sépare les deux zones, ou de clôtures), on a créé un obstacle à la véritable protection de cette espèce.
Le premier jet de l’entente qui doit en théorie être signée à Montréal contenait des efforts pour quantifier espèces ou diversité génétique, mais plusieurs de ces efforts sont à risque d’être remplacés par des formulations plus vagues, dénonçait le mois dernier l’écologiste argentine Sandra Diaz (voir texte précédent).
Et encore faut-il s’assurer que les actuels statuts de zones protégées ou d’aires protégées remplissent bel et bien leur fonction. « Dans beaucoup de pays en voie de développement, résume le reportage de E360, des zones supposément protégées sont surtout des “parcs sur papier” avec une gestion minimale ». Et ça, c’est quand la gestion du parc n’entre pas en conflit avec les communautés locales, y compris autochtones. Un paradoxe, sachant que, recherches à l’appui, on réalise à présent que la meilleure protection de la biodiversité est souvent celle qui est prise en main par les communautés locales.