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20 ans de Scorpion: la prostitution juvénile toujours bien présente

La criminologue Maria Mourani et l'ex-sergent-détective Roger Ferland co-signent «Opération Scorpion: Les dessous de la plus grande enquête sur la prostitution juvénile au Québec». Photo: Benjamin Aubert/Métro

Vingt ans après la plus grande enquête sur la prostitution juvénile au Québec, l’Opération Scorpion, la criminologue Maria Mourani et l’ex-sergent-détective Roger Ferland reviennent dans un livre sur ce grand chapitre judiciaire. Malgré la frappe aux allures spectaculaires, notamment en raison de la notoriété de plusieurs des 18 clients et 16 proxénètes arrêtés ainsi que des moyens déployés et de la réaction du grand public, le phénomène de la prostitution juvénile est toujours bien en vogue.

Pour les auteurs, l’écriture du livre a été faite en pensant aux parents. «L’objectif est d’informer et de sensibiliser afin de comprendre le phénomène et de ne pas se faire prendre au piège des réseaux», dévoile Maria Mourani. La criminologue souhaitait d’ailleurs s’attaquer à l’histoire de Scorpion depuis longtemps. Elle tentait de convaincre l’enquêteur au dossier, Roger Ferland, de participer à son projet depuis 2006!

Avant Scorpion, plusieurs rumeurs et informations tirées d’enquêtes antérieures n’ayant pas abouti circulaient dans le milieu policier. Pour assurer le succès de l’enquête, il fallait toutefois en faire fi. «J’ai dit à [mon partenaire] qu’on devait commencer avec un Jour 0 et aller à la première personne qui pouvait nous donner des informations. On devait corroborer chaque fait», se rappelle Roger Ferland en ajoutant que le procureur au dossier lui avait demandé d’enregistrer des déclarations de type KGB (NDLR: vidéo et sous serment) plutôt que de  simples déclarations assermentées. En procédant ainsi, l’équipe d’enquêteurs a obtenu des moyens qui n’avaient «jamais» été accordés pour des dossiers de prostitution juvénile, soit l’écoute électronique.

Trois mois après le début de l’enquête, des frappes ont lieu. Le 16 décembre 2002, 18 victimes sont retirées de la rue avec l’aide de la Direction de la protection de la jeunesse. Le lendemain, plusieurs clients (dont Robert Gillet) et proxénètes ont été placés en état d’arrestation. 

Un raz-de-marée de réactions a suivi. Une fondation pour soutenir les victimes a même été créée. «Il y a des enquêtes qui font modifier le Code criminel au fil des jurisprudences, mais qu’une fondation soit mise en place, je n’ai jamais vu ça! On a été dépassé par la quantité de nouvelles informations qui sont apparues. De 30 victimes, on est passé à 61 victimes. Dans la 2e partie de l’enquête, nous étions seulement en train de récupérer tout ce qui venait de tomber des arbres», souligne M. Ferland.

Des techniques de recrutement similaires aujourd’hui

Une escouade intégrée de lutte au proxénétisme fait aujourd’hui partie intégrante des organigrammes policiers à l’échelle de la province, ce qui facilite l’efficacité des enquêtes selon Roger Ferland. Cependant, malgré cette amélioration, la bataille contre le proxénétisme est loin d’être gagnée selon Maria Mourani. «Le démantèlement des réseaux se fait à la pièce et il se fait moins rapidement que la vitesse à laquelle les réseaux se créent eux-mêmes. Une partie des réseaux qui sont actifs sur le web ne sont même pas inquiétés», se désole-t-elle en insistant sur l’importance de parler de cet enjeu.

«Tout ce qui a été dit dans le cadre de la Commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs [en 2019-2020] aurait pu être dit en 2002. Ce sont exactement les mêmes problématiques», soutient la criminologue qui y avait témoigné. «La technique du « player », elle n’a pas changé. Et c’est la façon de faire des gars de gangs de rue. C’est une technique fort populaire et dominante dans laquelle on va charmer et manipuler au point de laisser croire à la victime que le proxénète est un amoureux».

Mme Mourani encourage les parents à sensibiliser leurs enfants afin d’éviter qu’ils se retrouvent avec le bras dans l’engrenage. Malgré toute bonne volonté, cela peut quand même se produire, dans ce cas, ils doivent maintenir le canal de communication ouvert. «Quand la fille est en période de lune de miel, il n’y a rien à faire sauf de maintenir le lien parce qu’une fois la lune de miel terminée, vous allez être la première personne qu’elle va appeler», soutient-elle.


Ils ont dit…

Les jeunes de maintenant ne sont plus les mêmes jeunes que ceux de notre époque ou ceux des années 90. Ils sont plus alertes, mais ils sont aussi plus exposés à la violence que nous l’étions. La banalisation du sexe et de la violence a amené un degré de tolérance qui fait en sorte que ça en prend beaucoup pour eux pour se dire que ce n’est pas normal.

Maria Mourani

C’est une histoire qui a été extrêmement difficile. Ça a tiré beaucoup d’énergie physique et d’énergie émotive pour traverser l’ensemble des étapes et mener à bien cette enquête-là.

Roger Ferland

Si nous avions pu être plus disponible entre Noël [2002] et le Jour de l’An, possiblement qu’on aurait eu plus de filles. Certaines d’entre elles voulaient venir sur le coup, mais il fallait courir après elles après deux ou trois jours.

Roger Ferland

Sans les policiers-écoles, on n’aurait jamais eu d’informations terrain. On n’aurait pas su ce qui se passait dans les polyvalentes à Charlesbourg, à Sainte-Foy et dans les écoles privées que nous avions ciblées.

Roger Ferland

L’opération en chiffres

8 mois d’enquête (19 septembre 2002 au 15 mai 2003)
16 proxénètes arrêtés et condamnés
18 clients arrêtés (16 ont été condamnés)
119 clients identifiés par les victimes (une centaine non poursuivis en raison du niveau de corroboration requis)
200 victimes mineures détectées (61 ont fait des déclarations à la police)
38 jours d’écoute électronique
22 journées de filature
27 000 conversations en sept langues à écouter
900 informations reçues sur le 641-AGIR, la ligne d’informations anonyme créé par le SPVQ
3 ans de procédures criminelles à Québec et à Montréal
15 ans : âge moyen d’entrée dans la prostitution des 61 victimes qui ont livré des déclarations écrites et vidéo K.G.B.

(Source : Les Éditions de l’Homme)


Opération Scorpion
Les dessous de la plus grande enquête sur la prostitution juvénile au Québec

Auteur(s) : Maria Mourani, Roger Ferland
Éditeur : Les Éditions de l’Homme
ISBN : 978-2-7619-5756-4
Pages : 320 pages
Prix de détail suggéré : 32,95$

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