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La politisation de l’immigration empêche le Québec d’avancer

(De gauche à droite) David Birnbaum, Marjorie Villefranche, Adèle Garnier, Catherine Xhardez et Antoine Bilodeau: experts invités à la discussion sur les politiques d'immigration au Québec à l'occasion de la conférence de l’Institut d’études canadiennes de McGill (IECM) le 27 octobre. Photo: Karla Meza / Métro

À l’occasion de la Conférence sur les politiques d’immigration au Canada et ailleurs dans le monde organisée par l’Institut d’études canadiennes de McGill (IECM) les 27 et 28 octobre à Montréal, un panel d’acteurs spécialisés en enjeux de migration s’est penché sur le débat actuel à propos de l’immigration et des politiques du gouvernement québécois à cet égard.

Lors de la conférence qui a ouvert la table ronde sur le Québec, Mireille Paquet, cheffe scientifique de l’Équipe de recherche sur l’immigration au Québec et ailleurs (ÉRIQA), a présenté les enjeux qui allaient être abordés pendant la discussion, modérée par Yolande James, directrice générale, diversité et inclusion de Radio-Canada et ancienne ministre de l’Immigration au Québec.

«Le Québec est maintenant dans une nouvelle ère, caractérisée notamment par la politisation des enjeux migratoires, un système d’immigration à deux vitesses et l’augmentation de l’immigration non planifiée», a lancé Mme Paquet, professeure associée en science politique à l’Université Concordia.  

Fin du consensus

Mme Paquet a affirmé que la politisation de l’immigration au Québec s’est intensifiée depuis une dizaine d’années, phénomène mettant fin au consensus existant chez les différents partis politiques depuis 1991 à l’égard du rôle de l’immigration dans la province. «Ce consensus avait permis de neutraliser la menace à la langue française, un enjeu alors central dans les politiques d’immigration», a-t-elle noté.

«Depuis que M. Parizeau a fait des commentaires regrettables à propos de l’immigration après l’échec du référendum de 1995, il est devenu difficile pour les partis politiques de parler de leur intention de limiter l’immigration ou de changer les politiques d’intégration», a-t-elle poursuivi.

Mme Paquet déplore la polarisation de la posture des partis politiques à l’égard de l’immigration, ainsi que l’augmentation et la fragmentation de la médiatisation depuis 2010, exacerbée notamment par l’opinion des chroniqueurs et politiciens sur la relation entre l’immigration et les problématiques actuelles dans la province.

La politisation de l’immigration a des conséquences négatives sur notre capacité à apporter des solutions aux défis que la province rencontre et à implanter des réformes politiques.

Mireille Paquet, professeure associée en science politique à l’Université Concordia

Manque de positionnement

«Le gouvernement fédéral et les autres provinces canadiennes ont depuis longtemps statué clairement sur leur orientation à l’égard de l’interculturalisme, mais il n’y a pas de politique claire au Québec», a mentionné Antoine Bilodeau, professeur au Département de science politique à l’Université Concordia, qui affirme que cela laisse la place à des politiciens et des acteurs radicaux pour «faire des déclarations polémiques et accaparer toute l’attention».

«La politisation de l’immigration est plus forte au Québec, car la province n’a jamais eu de positionnement à cet égard, alors qu’au fédéral il y a eu trois moments clés pour les politiques sur le multiculturalisme en 1971, 1982 et 1988.»

On a beaucoup parlé durant la dernière campagne électorale du nombre d’immigrants qui devraient être admis, mais l’enjeu principal qui devrait être discuté est la relation du Québec avec l’immigration et la diversité ethnoculturelle.

Antoine Bilodeau, chercheur, spécialiste de l’intégration politique des immigrants et de l’attitude envers la diversité ethnoculturelle

La boîte de Pandore

«C’est un peu paradoxal qu’on essaie d’analyser le positionnement du gouvernement [québécois] en matière d’immigration, car on ne sait toujours pas dans quel sens il s’en va», a souligné Catherine Xhardez, professeure assistante au Département de science politique de l’Université de Montréal.

Selon elle, la CAQ doit d’abord définir le destin qu’elle souhaite pour le Québec. «Est-ce que le Québec veut rester petit, garder son régime distant d’immigration et continuer dans la voie de l’explosion de l’immigration temporaire alors qu’il n’a pas tant de pouvoir sur elle?»

Pour Mme Xhardez, alors que le Québec voudrait plus de pouvoir sur les politiques qui touchent le regroupement familial, l’arrivée irrégulière à la frontière et les délais de traitement des demandes, une éventuelle renégociation de l’accord avec le gouvernement fédéral pourrait ouvrir une boîte de Pandore.

Est-ce qu’il pourrait y avoir des coalitions d’autres provinces face au fédéral ou, au contraire, le Québec se retrouvera avec moins de force parce que les autres provinces ne vont pas le soutenir?

Catherine Xhardez, membre de l’Équipe de recherche sur l’immigration au Québec et ailleurs (ÉRIQA)

Précarité des immigrants temporaires

Quant à l’augmentation de l’immigration temporaire au Québec, Mme Paquet déplore le resserrement des programmes donnant accès à la résidence permanente, tel le Programme de l’expérience québécoise. Elle souligne que les permis de séjour temporaire ne font qu’exacerber la précarité des immigrants, aux prises avec l’incertitude de pouvoir demeurer au pays à long terme.

«L’immigration temporaire augmente de façon plus significative que l’immigration permanente depuis le début des années 2000 au Québec, mais les institutions ne se sont pas adaptées à cette nouvelle réalité», a-t-elle affirmé.

Mme Paquet reproche au gouvernement de maintenir les immigrants dans un état d’incertitude qui ne leur permet pas de planifier leur avenir, ce qui nuirait à leur relation avec la province.

«Pendant cette “période d’essai”, nous voulons que les immigrants s’intègrent à la société, qu’ils apprennent le français en six mois et qu’ils s’engagent avec le projet nationaliste», regrette-t-elle.

Le Québec dépend de l’immigration pour sa survie démographique et économique. Nous devons donc réfléchir au genre de citoyens que nous sommes en train de former à travers ces programmes d’immigration.

Mireille Paquet, cheffe scientifique de l’Équipe de recherche sur l’immigration au Québec et ailleurs (ÉRIQA)

Intégration et pénurie de main-d’œuvre

En ce qui a trait à l’intégration des immigrants, David Birnbaum, ancien député libéral de D’Arcy-McGee à l’Assemblée nationale, a exhorté le gouvernement à entamer une discussion équilibrée sur la francisation des nouveaux arrivants et l’emploi de l’expertise de tous les intervenants de la société pour y arriver.

«Nous devons arrêter la dichotomie ridicule entre l’intégration qui s’oppose à l’immigration. Le gouvernement n’arrivera pas à pallier la pénurie de main-d’œuvre dans la province en décidant que les Québécois et les immigrants non francophones sont contre la langue française», a-t-il déclaré.

On parle d’un quart de million de postes à combler et d’un poids démographique qui est en diminution, l’immigration se voit donc essentielle.

David Birnbaum, ancien porte-parole de l’opposition officielle en matière de francophonie canadienne et de relations intergouvernementales canadiennes

«S’intégrer, c’est travailler, avoir ses enfants à l’école et contribuer positivement au développement de la société. Cela se fait déjà», a assuré Marjorie Villefranche, directrice générale de la Maison d’Haïti, qui précise que les organismes communautaires jouent déjà un rôle essentiel en ce sens.  

«La question du français doit se régler d’abord avec les personnes qui parlent français et non sur le dos des immigrants qui contribuent déjà à la société», a-t-elle lancé.

Francisation

«Ils [François Legault et Jean Boulet] ne se sont pas trompés quand ils ont parlé, ils ont dit exactement ce qu’ils voulaient dire parce que c’est ça que les Québécois voulaient entendre», a soutenu Mme Villefranche, en faisant référence aux propos controversés que le premier ministre et l’ancien ministre de l’Immigration ont tenus publiquement en septembre dernier.

«Comment est-ce qu’on va réconcilier maintenant les immigrants avec le gouvernement qui est supposé les représenter?», s’est-elle exclamée.

«En démonisant les gens et en leur disant qu’ils ont six mois pour apprendre à parler français correctement, ils risquent de partir du Québec. C’est contre-productif, car il y aura alors moins de Québécois francophones», a dit pour sa part Adèle Garnier, professeure associée et directrice des études de premier cycle au Département de géographie de l’Université Laval.

«Je crois que la loi 101 marche bien et que le français est mieux protégé dans la sphère publique au Québec qu’en France», a affirmé Mme Garnier, dont la recherche est axée sur la connexion entre le territoire, la gouvernance et la migration, ainsi que l’admission de réfugiés et l’emploi.

«Le français n’est pas menacé par les anglophones du Québec mais par le contexte global de domination de cette langue. Ce serait alors innovant pour le gouvernement québécois de trouver une façon de rendre le français plus attrayant pour que les gens veuillent le parler.»

Au Canada

Selon les données du dernier recensement dévoilées par Statistique Canada cette semaine, plus de 8,3 millions de personnes au pays étaient des immigrants en 2021, soit 23% de la population.

Ce chiffre représente la plus forte proportion de l’histoire du Canada, qui connaît la croissance démographique la plus forte parmi les pays du G7.

Près de 80% de l’augmentation de 1,8 million de la population de 2016 à 2021 est attribuable aux nouveaux arrivants au Canada, que ce soit en tant qu’immigrants permanents ou temporaires.

Au Québec

Selon le Recensement canadien de 2021, le Québec rapporte une baisse de l’accueil de nouveaux arrivants au cours des cinq dernières années, passant de 17,8% en 2016 à 15,3% en 2021.

Le Québec administre ses propres programmes d’immigration économique depuis 1991 dans le cadre de l’Accord Canada-Québec, qui confère à la province plus d’autonomie en matière de sélection et d’intégration de ses immigrants. En 2021, 46,4% des immigrants récents qui vivaient au Québec ont été admis en vertu d’un programme de travailleurs qualifiés.

Au Québec, 54,5% des nouveaux arrivants n’avaient que le français comme première langue officielle parlée (PLOP), alors que 25,5% n’avaient que l’anglais, 14,7% l’anglais et le français, et seulement 5,3% des immigrants récents ne parlaient ni l’anglais ni le français.

Ce texte a été produit dans le cadre de L’Initiative de journalisme local.

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