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L’ancien PDG de SNC-Lavalin, Pierre Duhaime, plaide coupable

MONTRÉAL — L’ex-PDG de SNC-Lavalin, Pierre Duhaime, s’est reconnu coupable de n’avoir rien fait et a été condamné à 20 mois d’emprisonnement à domicile, vendredi, au palais de justice de Montréal, en marge du scandale entourant la construction du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).

Une seule des 16 accusations originalement portées contre lui en lien avec ce qui a été qualifié de pire cas de corruption de l’histoire canadienne a été retenue, soit d’avoir été complice d’un abus de confiance, justement pour avoir omis d’intervenir alors qu’il était vraisemblablement au courant qu’un acte criminel se tramait.

En présentant l’exposé des faits, la procureure de la Couronne Nathalie Kleber a souligné que l’ex-directeur général adjoint du CUSM, Yanaï Elbaz, avait fourni des informations privilégiées à SNC-Lavalin afin de favoriser le géant de l’ingénierie dans sa soumission pour l’obtention du contrat de construction du mégahôpital. Selon cet exposé, M. Duhaime avait eu au moins un contact téléphonique avec M. Elbaz et il était aussi au courant des communications entre un de ses employés et M. Elbaz.

«Il a laissé faire»

C’est là où se trouve sa culpabilité, a expliqué le procureur en chef adjoint du Bureau de la grande criminalité, Me Robert Rouleau: «M. Duhaime admet avoir eu des raisons de croire que des informations privilégiées avaient été illégalement données pour favoriser l’obtention du contrat par la compagnie dont il était le PDG (…) Il a choisi de regarder dans l’autre direction; il a laissé faire et ça, ça entraîne sa participation criminelle à l’abus de confiance qui était en train de se commettre.»

Par contre, pour les 15 autres accusations parmi lesquelles se trouvaient celles de fraude et de corruption, Me Rouleau a reconnu que la Couronne avait dû renoncer à établir un lien entre M. Duhaime et le versement par SNC-Lavalin de pots-de-vin de 22,5 millions $ à M. Elbaz et à l’ancien directeur général du CUSM, Arthur Porter, qui est décédé au Panama avant d’avoir pu être jugé.

Yanaï Elbaz, lui, a été condamné à 39 mois de pénitencier pour son rôle dans cette affaire, alors que l’employé en question, l’ex-vice-président de SNC-Lavalin Riadh Ben Aïssa, a été envoyé au bagne pour 51 mois.

Mais «le ministère public n’aurait pas été en mesure de faire la preuve que M. Duhaime avait la connaissance qu’en bout de processus, un montant d’argent était versé à des dirigeants du CUSM», a admis Me Rouleau.

L’explication de cet échec est venue de l’avocat de Pierre Duhaime, Me Michel Massicotte: «Le témoin principal dans cette affaire est un témoin qui, à notre sens, n’était pas digne de croyance. Nous avons fait nos représentations au ministère public et ils ont eu la sagesse (…) d’écouter nos représentations, de ne pas attendre le procès et de nous revenir en nous disant que, étant données nos représentations, ils ne le feraient pas entendre. Ç’a changé énormément la donne», a-t-il raconté à l’issue de l’audience.

Peine dans la collectivité

Après l’exposé des faits, la Couronne et la défense ont présenté une suggestion commune quant à la peine à imposer à l’homme d’affaires déchu, soit une sentence de 20 mois d’emprisonnement, 240 heures de travaux communautaires, un an de probation et le versement d’un don de 200 000 $ au CAVAC, le Centre d’aide aux victimes d’actes criminels. Ce don était d’ailleurs déjà fait vendredi matin, Me Massicotte présentant le reçu du CAVAC au tribunal.

La Couronne a précisé qu’elle n’avait pas d’objection à ce que la peine d’emprisonnement soit purgée dans la collectivité.

La juge Dominique Joly, qui avait préalablement été saisie de l’exposé des faits et de la suggestion commune, avait déjà écrit sa décision et a condamné M. Duhaime à 20 mois d’emprisonnement avec sursis. C’est donc dire qu’il purgera sa peine en assignation à domicile sous des conditions très strictes.

Les autres éléments de la suggestion commune — les 240 heures de travaux communautaires, le don de 200 000 $ au CAVAC, la probation d’un an — ont également été entérinés par la juge Joly.

Celle-ci a par ailleurs interdit à Pierre Duhaime d’être administrateur d’une entreprise pour la durée de son emprisonnement et de sa probation.

Conditions strictes

La détention à domicile imposée à l’homme de 64 ans est assortie de multiples conditions, dont certaines sont très strictes.

Durant les six premiers mois de sa peine, il lui sera interdit de quitter sa résidence à moins de raisons urgentes; pour les sept mois suivants, il sera soumis, entre autres, à un couvre-feu entre 23h00 et 7h00 et il aura une plus grande liberté de mouvement pour les sept derniers mois de sa détention.

Interrogé sur le bien-fondé d’envoyer M. Duhaime à la maison plutôt qu’en institution carcérale, Me Robert Rouleau a tenu à mettre les pendules à l’heure: «C’est une peine d’emprisonnement qui a été prononcée (…) S’il y a quelqu’un qui prétend que Monsieur s’en va le coeur léger, les pieds sur la bavette du poêle en riant du système, il se trompe lourdement», a laissé tomber le juriste.

Son avocat a plaidé de son côté qu’il fallait tenir compte du fait que son client avait subi plus de six années de procédures judiciaires et qu’en plus des 20 mois d’emprisonnement, des 240 heures de travaux communautaires, du don de 200 000 $, Pierre Duhaime avait vu sa réputation professionnelle détruite et que sa famille avait subi d’importants contrecoups de toute cette affaire.

Fait à noter, s’il avait été envoyé en prison, Pierre Duhaime aurait eu le droit de faire une demande de libération conditionnelle après avoir purgé le sixième de sa peine de 20 mois, de sorte que, s’il avait obtenu cette libération, il aurait pu sortir de prison à la mi-mai, soit bien avant d’obtenir le droit de sortir de sa résidence, que la juge Joly a fixé au 1er août.

Dernier accusé

Pierre Duhaime devait subir son procès à compter de lundi — il était le seul des accusés à tenter de se défendre — mais son plaidoyer de culpabilité vient clore une saga judiciaire qui durait depuis plus de 6 ans puisqu’il était le dernier à faire face à des accusations criminelles dans le dossier du CUSM.

La veuve d’Arthur Porter, Pamela Porter, a été condamnée à 33 mois d’emprisonnement après avoir plaidé coupable à des accusations de recyclage des produits de la criminalité, en décembre 2014. Elle est sortie de prison depuis.

Yanaï Elbaz et Riadh Ben Aïssa avaient eux aussi plaidé coupable aux accusations portées contre eux.

Le frère de Yanaï Elbaz, Yohann, et un autre ex-vice-président de SNC-Lavalin, Stéphane Roy, ont été acquittés dans ce dossier.

Pierre Saint-Arnaud, La Presse canadienne

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