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Faire un bébé seule, oui je le peux!

Emilie Robert tenant dans ses bras ses jumeaux, Dominic et Louis. Photo: Gracieuseté, Emilie Robert

«Elle vécut heureuse et eut beaucoup d’enfants.» L’histoire de plus en plus de Québécoises se dénoue maintenant ainsi. Leur récit ne comprend plus de prince charmant: l’héroïne célibataire est maîtresse de sa maternité. Fini le temps où la femme attendait l’enchaînement de circonstances «idéales» pour aller de l’avant avec un projet de grossesse. Maintenant, grâce à la procréation médicalement assistée, ce que femme veut, elle le peut.

Entre 2021 et 2023, les femmes célibataires ont d’ailleurs été plus nombreuses que les couples lesbiens à faire appel au programme de procréation médicalement assistée (PMA) du Québec. Près d’un projet sur dix dans le programme est celui d’une femme seule.

ProfilNombre de projets bénéficiant des services PMAPourcentage
Projets femme seule9539,27%
Projets femme/femme8027,80%
Projets femme/homme8 52582,93%
Total:10 280100,00 %
Période couverte: 17 décembre 2021 au 28 février 2023. Source: Ministère de la Santé et des Services sociaux.

Une des raisons qu’elles évoquent pour expliquer ce choix: les relations amoureuses sans avenir qui freinent leur élan dans leur projet de fonder une famille.

C’est le cas de Sarah Mayville-Hubert, qui entame son deuxième trimestre de grossesse. Dès un très jeune âge, elle a ressenti un besoin viscéral d’enfanter. «À 16 ans, j’aurais été prête à être maman.» Mais, enchaînant les relations «qui ne duraient pas», puis se lassant «d’avoir trop souvent mis sur pause» son rêve pour des hommes qui n’étaient pas prêts à avoir des enfants ou qui n’en voulaient pas, un constat s’est imposé: ce serait sans homme qu’elle réaliserait son projet parental.

Sarah Mayville-Hubert durant sa 20e semaine de grossesse. Photo: Gracieuseté, Sarah Mayville-Hubert.

Pour Emilie Robert, mère de jumeaux de 19 mois, sa relation avec un homme qui avait déjà un enfant et n’en voulait plus l’a amenée à réfléchir à son désir d’enfant à elle. Un constat a émergé: elle ne voulait pas se contenter d’être la «blonde à papa». La relation a pris fin.

Elle a décidé de ne pas attendre de développer une autre relation et de se lancer seule dans le projet. Elle avait trop peur de le regretter si elle attendait.

Au moment de ma rupture, j’ai côtoyé une femme que je sentais terriblement amère face à sa propre vie sans enfants. […] Je n’avais pas le goût d’en arriver là.

Emilie Robert

Pour Marie-Ève Potvin, c’est le passage à la trentaine qui l’a fait cogiter. Officière militaire, elle s’est enrôlée dans les Forces armées canadiennes dès sa majorité. Un choix de carrière impliquant «beaucoup d’instabilités géographiques qui ont, disons, nui à plusieurs de mes relations», confie-t-elle au téléphone en changeant la couche de son fils de 15 mois qui babille en arrière-plan. «Je suis arrivée à 30 ans, sans conjoint, sans enfant, avec une horloge biologique qui faisait tic-tac.»

Elle s’est d’abord informée à propos de l’adoption, une idée contemplée depuis l’enfance… Mais le projet s’est avéré plus laborieux, chronophage et coûteux (dans le cas de l’adoption à l’international) qu’elle ne le pensait.

Alors qu’elle voyait les options s’effriter et le temps filer, le programme de procréation assistée a progressivement cheminé dans son esprit, non sans appréhension. Elle a contemplé cette avenue en imaginant le moment où elle devrait expliquer à son fils qu’elle avait décidé de concevoir de plein gré un «bébé sans père». Elle s’est apaisée en se rappelant le taux de séparation élevé observé chez les militaires. «J’en ai entendu, des histoires d’horreur où un parent est posté dans une autre province et qu’il y a une garde partagée qui se fait par avion…»

L’art de s’en foutre

Dans le cas d’Emilie, c’est un passage tiré du livre L’art subtil de s’en foutre qui a provoqué un «gros déclic» en elle. Pour réaliser un rêve, il faut parcourir le chemin sinueux pour s’y rendre. Sans cela, ce n’est qu’un fantasme.

«Est-ce que j’étais prête à vivre une grossesse qui pouvait être difficile, subir une diminution de revenus pendant mon congé de maternité, me lever la nuit, seule, gérer la routine du matin et du soir, seule, les vomis, les couches, les crises, les devoirs, etc.? La réponse était oui. Le lendemain matin, j’appelais à la clinique de fertilité pour prendre mon premier rendez-vous.»

De son côté, Sarah envisageait dès le début de recourir à des traitements pour la fertilité. Porter son enfant «était super important» et elle «a toujours su qu’une famille pouvait être différente», de par sa propre expérience en tant qu’enfant heureuse de parents séparés. «Il faut tout un village pour élever un enfant, que tu sois solo ou à deux.»

Des problèmes de fertilité et des préjugés

Emilie estime qu’elle a eu de la chance. Elle est tombée enceinte dès la première insémination intra-utérine. Marie-Ève et Sarah n’ont pas été aussi chanceuses. Toutes les deux ont été affectées par des problèmes d’infertilité. Elles ont dû passer au travers d’un processus éreintant, marqué par des échecs, une logistique accaparante, une prise d’hormones usant le corps et l’esprit. Sarah a aussi vécu un choc émotionnel à la suite d’une fausse couche.

Totalement épuisée, elle a presque baissé les bras. «Si la dernière insémination n’avait pas fonctionné, je crois que j’aurais dû prendre une pause de quelques mois pour me refaire une santé mentale.»

Certains des proches de Sarah, des gens parmi ceux qu’elle «aime le plus au monde», ont mis en doute son choix d’opter pour la soloparentalité, préférant plutôt faire l’éloge du modèle de la famille nucléaire sur la base de fondements religieux et de la nécessité d’avoir un homme dans la vie de l’enfant. «Il y en a qui se sont replacés et ça va vraiment bien. D’autres ne m’ont donné aucune nouvelle depuis que je suis enceinte.»

Le concept de soloparentalité (choisir de faire un enfant seul.e) est encore nouveau. Le logiciel Antidote utilisé pour corriger ce texte, par exemple, suggère de corriger le terme en le remplaçant par monoparentalité ou homoparentalité.

Marie-Ève admet pour sa part avoir ressenti de la mélancolie pendant sa grossesse. «Je suis habituée à surmonter les obstacles toute seule, mais là, je suis en train de vivre quelque chose de beau, et je crois que je réalise pour la première fois que j’aurais aimé le partager avec quelqu’un.»

À défaut, ces doux moments ont été vécus avec ses parents et ses ami.e.s proches, dont les réactions face à l’annonce de son projet parental ont été globalement positives.

C’est drôle, mais les personnes qui étaient moins ouvertes étaient souvent des hommes. C’était comme si je venais d’éliminer un peu leurs fonctions premières.

Marie-Ève Potvin

Évacuer le père du portrait de famille, un choix «égoïste»?

Un thème revient à quelques reprises dans les propos de Marie-Ève et de Sarah: l’égoïsme. Est-ce «égoïste de ne pas donner de papa à son enfant»?

Peut-être un peu, pense Marie-Ève. Un deuxième parent permettrait, selon elle, d’avoir au moins deux figures d’attachement, d’avoir plus d’un repère. Toutefois, lorsqu’elle pense à son fils qui regarde son grand-père comme s’il était la «septième merveille du monde», elle estime qu’il sera possible pour son garçon de se tourner vers d’autres personnes significatives dans son entourage.

Marie-Ève Potvin, en voyage avec son fils Lou-Félix. Photo: Gracieuseté, Marie-Ève Potvin.

«Je n’appelle pas mon père “papa” parce qu’il est biologiquement mon père, mais plutôt parce qu’il s’est occupé de moi toute sa vie et qu’il m’a aimée», renchérit Emilie. Elle précise toutefois qu’elle a opté pour un donneur de sperme à identité ouverte. Cela veut dire que ses jumeaux auront accès à l’identité de celui-ci, s’ils le souhaitent, à leur majorité.

«Ils ont une photo et un enregistrement d’une courte entrevue, où [le donneur] parle des raisons pour lesquelles il est devenu donneur et donne son opinion sur une éventuelle rencontre lorsqu’ils seront adultes. […] Je voulais qu’ils aient le choix de le connaître ou non.»

De son côté, Sarah a fait un choix différent, qu’elle explique ainsi: «Faire un enfant avec un gars que je connais depuis un an pour que notre relation finisse en guerre nationale avec des avocats pour une garde, je me dis que je n’aurai jamais à vivre ça.»

Bien qu’elle soit sereine par rapport à son choix de la soloparentalité, elle est bien consciente de la perception négative que certaines personnes peuvent en avoir. Alors qu’elle a dû faire face à trois tabous (infertilité, fausses couches et soloparentalité), elle croit que la meilleure médecine pour défaire certains préjugés, c’est d’en parler. Sarah s’est bâti une communauté sur son compte TikTok et Instagram, plateformes sur lesquelles elle aborde les hauts et les bas de son parcours. Elle a pu y bénéficier d’un bel appui. Sa première injection d’hormones s’est d’ailleurs déroulée en direct sur TikTok.

La charge mentale d’une mère soloparentale

La vie de mère soloparentale implique pour Marie-Ève de porter une double charge mentale: celle liée à son travail exigeant de militaire et celle liée à son fils. «J’ai trouvé que la routine était extrêmement difficile à appliquer au début. Là, je m’ennuyais de ma vie d’avant. Je m’ennuyais de rentrer le soir, de faire ce que je voulais. Avant, je décrochais du travail en allant m’entraîner. Je ne peux plus faire ça.»

L’arrivée de son fils a également suscité certains questionnements existentiels. «Être déployée en zone de guerre est une possibilité qui est toujours là. Si un jour je meurs, qui va parler de moi à mon fils? Comment va-t-il savoir qui était sa mère?» Pour apaiser ces angoisses, elle a pris l’habitude de tout documenter dans un album. «Je me dis que si un jour il m’arrive quelque chose, au moins il va rester ça.»

La soloparentalité représente pour ces trois femmes une aventure pleine d’obstacles et de rebondissements. Mais elles ne le regrettent pas. Comme le résume Emilie Robert: «Il y a des moments où je suis épuisée et où je me dis que je ne sais pas comment je vais faire pour y arriver. Mais ça ne dure jamais longtemps, et c’est vite oublié quand les deux petits se mettent à rire.»

La famille Robert en pause lecture. Photo: Votre histoire, Chantale Lecours.

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