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Les prix Gémeaux et Monsieur Patate, même combat

CHRONIQUE – Février 2021, l’entreprise Hasbro annonce que les produits vendus sous le nom de «Monsieur Patate», incluant «Madame Patate», ne seront plus vendus sous le nom de «Monsieur Patate», mais adopteront désormais l’appellation «Tête de Patate», tout simplement. Le communiqué d’Hasbro précise alors qu’il ne s’agit que de mieux refléter l’ensemble de ses produits et que Monsieur et Madame Patate demeureront. À aucun moment la compagnie n’insinue qu’il s’agit d’une façon d’abolir le genre ou même d’inclure les personnes non-binaires.

Ça n’est pas nécessaire: les médias le font à sa place. «A mister no more: Mr. Potato Head goes gender neutral», titrera l’Associated Press. «Adieu “Monsieur Patate”, la marque de jouets culte ne sera plus genrée», résumera pour sa part l’AFP. Il n’en faudra pas plus pour que l’ensemble du commentariat conservateur déchire sa chemise sur le dos du pauvre tubercule jouet. C’est la fameuse panique morale anti-woke à son meilleur: où s’en va le monde si on ne peut même plus assigner un sexe aux pommes de terre!

De la même façon non surprenante, certains commentateurs réactionnaires ont décrié la décision du gala des prix Gémeaux de ne plus remettre de prix genrés dans les catégories d’interprétation. On nous fait craindre le pire: bientôt, on ne pourra plus prononcer les mots «homme» et «femme», le genre sera aboli au nom de la tyrannie de la minorité non-binaire, et des «hommes déguisés en femmes» vont envahir les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence. Ces personnes vont faire tout un saut quand elles vont découvrir que les catégories d’écriture, de réalisation et d’animation, entre autres, sont ainsi non genrées depuis toujours.

Pourtant, quand on lit le communiqué de l’Académie, on comprend bien que cette décision a été prise essentiellement de manière à réduire le nombre de catégories. C’est la première phrase du communiqué. Après, la directrice de l’Académie a fait part en entrevue des autres avantages potentiels de ce changement de règlement. «Le genre, en ce moment, est une question assez fluide. On voulait laisser aux interprètes le soin de choisir là où ils se voyaient le mieux représentés», a-t-elle dit en entrevue au Journal de Montréal.

Dans toutes ces sagas, celle de Monsieur Patate comme celle des prix Gémeaux, les personnes les plus pénalisées sont les membres de la communauté LGBTQIA+, dont les personnes non-binaires, à qui l’on fait porter l’odieux de ces décisions. Dans l’esprit du public, les organisations les privent de leurs repères pour se plier aux caprices de ces minorités. Est-ce que les personnes non-binaires auront plus de chances d’être célébrées au sein de ces catégories plus compétitives? Dur à dire. Généralement, les catégories plus compétitives ont tendance à pénaliser les personnes marginalisées. C’est pour cette raison qu’une tendance opposée à celle de dégenrer les prix consiste à créer des prix pour honorer le travail de communautés spécifiques, comme l’a fait l’ADISQ avec un prix pour les artistes de langues autochtones.

Quant aux femmes, dur à dire également. Les biais sexistes continuent d’affecter, en amont et en aval, la façon dont on célèbre les femmes. Par exemple, elles sont dramatiquement sous-représentées parmi les lauréats des Prix du Québec, qui célèbrent entre autres l’excellence en science, en littérature, en cinéma, en architecture. Dans les catégories déjà non genrées, comme la réalisation, les femmes ont aussi été négligées. On voit cependant que la vapeur peut être renversée quand des changements sont apportés au financement. Si les femmes partent avec des opportunités similaires à celles des hommes, leur chance de rayonner augmente.

Dans les catégories d’interprétation, l’expérience tend à démontrer que les femmes ne sont pas particulièrement pénalisées par les catégories non genrées. Par exemple, le prix «Révélation de l’année» du gala Québec Cinéma est un prix d’interprétation mixte. Les cinq dernières années, les finalistes ont été majoritairement des filles, et les gagnantes, des filles quatre fois sur cinq. Il s’agit toutefois d’une catégorie d’entrée, où l’on compare de jeunes talents. Est-ce que des femmes de 50 ans ont autant de chances de rayonner que des hommes de 50 ans qui ont plus d’opportunités de jeu? Ça reste à voir. Aux MTV Awards, que l’on cite souvent comme exemple de gala ayant dégenré ses catégories d’interprétation, les femmes lauréates se situent dans la zone paritaire, même si les hommes ont une longueur d’avance sur elles.

Bref, il faudra surveiller ça de près pour s’assurer que cette idée ne soit pas qu’une lubie inscrite dans l’air du temps, mais une réelle occasion d’améliorer notre façon de célébrer les artistes dans toute leur diversité. Pour s’assurer que tous les talents rayonnent à leur juste valeur, il faudrait que l’Académie se dote d’outils pour mesurer le nombre de personnes admissibles pour chaque catégorie, le nombre de nommé(e)s et le nombre de lauréat(e)s selon leur genre. Un gros travail de comptabilisation en perspective.

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