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Une seule santé à la lumière des incendies 

Photo: iStock/edb3_16
Isabelle Burgun - Agence Science-Presse

Les feux de forêt ont entraîné au Québec l’évacuation de milliers de personnes. L’air vicié de ces feux, qui s’est rendu très loin aux États-Unis, affecte la santé des plus vulnérables. Et c’est sans compter les populations animales, dont on ne parle peut-être pas assez. 

« Il faudrait réfléchir à l’impact potentiel des fumées sur la santé pulmonaire des humains, mais aussi sur celle des animaux », relève la titulaire de la Chaire de recherche du Canada en épidémiologie et Une seule santé de l’Université de Montréal, Hélène Carabin. 

Ces incendies illustrent bien que la santé des humains, celle des animaux et la préservation de l’environnement sont étroitement liées. « Sans compter que la mortalité par les feux de la flore et de la faune risque de sévèrement déstabiliser les écosystèmes pour un bon moment, avec des conséquences difficiles à prédire pour la santé de tous », rappelle-t-elle. 

C’est une démonstration qui se fera sur plusieurs années, même s’il est déjà possible de constater « des effets sur de nombreuses espèces végétales et animales », ajoute la conseillère de recherche au Groupe de recherche en épidémiologie des zoonoses et santé publique, Caroline Kilsdonk. 

Dans le brasier climatique 

À mesure que les feux s’éteindront, on découvrira dans les zones incendiées et limitrophes des changements, des bactéries, champignons, insectes, oiseaux, animaux terrestres qui auront « un effet domino dans les chaînes alimentaires et donc, sur la survie d’autres espèces », relève la chercheuse. Il pourrait même y avoir des effets dus aux polluants transportés par le vent. » 

L’approche « Une seule santé/One Health » pourrait nous aider à traverser cette crise — et plus largement, la crise climatique — avec en premier lieu la prévention. Caroline Kilsdonk renchérit : « On manque d’informations sur le déclenchement des feux. Outre le réchauffement et la sécheresse, il y a certainement d’autres explications puisqu’une source d’ignition est requise. Ce savoir aiderait à faire de la meilleure prévention. » 

Comme le souligne aussi l’épidémiologiste Hélène Carabin, qui œuvre en santé publique, « il va falloir travailler avec des biologistes et des experts en foresterie et en arborologie pour voir comment régénérer de façon plus durable ce qui a été détruit. Est-il possible de mieux entretenir nos forêts ? De créer des axes de fuite pour les animaux ? » 

Enfin, une fois la crise passée, il faudra penser à aider les humains à se rétablir, mais également les animaux. Un aspect concret qui reste souvent en marge des préoccupations des médias : « Comment offrir des soins médicaux aux animaux ? », interroge encore Mme Carabin. 

Les risques accrus d’épidémies 

Il y a aussi l’augmentation des zoonoses — ou épidémies transmises par des animaux — liées à la migration et à la survie de certains insectes porteurs de parasites et de bactéries. Les réservoirs des zoonoses comprennent aussi les petits mammifères et rongeurs (tamia, écureuil, souris à pattes blanches, etc.), les oiseaux et de plus gros mammifères, comme nos animaux de compagnie. 

Jusqu’aux chevaux qui font l’objet d’une surveillance accrue pour le virus du Nil occidental. « C’est important de privilégier la prévention conjointe chevaux et humains, surtout qu’il y a souvent une faible application des mesures préventives » comme l’assèchement des mares où ils vont boire et où se développent les moustiques, expliquait le doctorant Antoine Levasseur, lors d’un colloque du récent congrès de l’Acfas consacré à l’approche « Une seule santé ». 

Transmise par les tiques, la maladie de Lyme gagne ainsi vers le nord. « Il y a une couche de comportement humain à ne pas négliger dans cette propagation », relève la vétérinaire épidémiologiste de l’Agence de santé publique, Catherine Bouchard. « Il importe de s’examiner, de retour à la maison (elle rapporte que seulement 30 à 40 % des gens le font), d’avoir recours à des insectifuges et même de procéder à des interventions environnementales », par exemple de tailler les herbes hautes et d’aménager de larges sentiers en forêt. 

Moins connue, l’anaplasmose, une maladie aux symptômes s’apparentant à ceux de la grippe, est transmise elle aussi par les tiques à pattes noires. L’an dernier, 35 cas ont été déclarés en Estrie. « Il faut voir la tique porteuse de la bactérie comme une seringue souillée. Et en raison des changements climatiques, son activité augmente, tout comme les cycles de reproduction », explique la vétérinaire et étudiante à la maitrise, Raphaëlle Audet-Legault. 

Tout cela fait partie de l’approche « Une seule santé » : voir comme un tout la santé des personnes, des animaux et des écosystèmes. Une vision qui se veut également intégrée et unificatrice dans la recherche de solutions durables. 

« C’est la vision de la Pachamama, dont découlent des concepts socioculturels comme vivre en harmonie avec la “mère Nature” ou de voir la Terre comme un seul écosystème pour la santé humaine et animale », faisait remarquer lors du même colloque l’étudiante au département de nutrition de l’Université de Montréal, Ana Deaconu. 

Elle venait présenter ses travaux de recherche autour de l’agroécologie, menés en Équateur auprès de populations autochtones. « La diversité agricole, c’est bénéfique à l’environnement, aux animaux et aux humains. Elle améliore la santé de l’écosystème et la diversité alimentaire. » 

Une seule santé: aux origines du concept 

Si on s’entend pour dire que santé humaine, santé animale et écosystèmes s’avèrent interdépendants, ça n’a pas toujours été évident, souligne Hélène Carabin qui étudie la question depuis près de 30 ans. « On ne parlait pas de ça alors que les premiers experts s’intéressaient aux zoonoses et que j’étudiais les parasites des bacs à sable où jouaient les enfants. » 

Toutefois, « on faisait déjà des liens entre la salubrité de l’environnement, les animaux qui tombaient malades et les humains qui attrapaient ces maladies ». Cette interconnexion a poussé la chercheuse à voyager au Burkina Faso et ailleurs pour tisser des liens entre les sciences naturelles, les sciences sociales, l’humain et l’environnement.  

La dénomination Une seule santé/One Health serait apparue en 2004 et on lui a donné depuis de nombreuses définitions. L’approche est toutefois devenue officielle en raison de la pandémie, avec la création en 2021 du Groupe d’experts de haut niveau sur l’approche « Une seule santé », par les Nations unies, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation) et l’OMS. 

« C’est ce qu’on appelait auparavant “l’écosanté”. L’important est de prioriser la santé du vivant sans croire que la santé humaine est au sommet d’une pyramide. Sinon, nous allons tomber de haut », relève l’experte. 

Ensemble en action 

L’air vicié des feux, tout comme la propagation des GES, ne connaît pas de frontières. Il importe donc aussi de déployer une collaboration internationale avec Une seule santé/One Health. 

Les organisations internationales (OMS, FAO, UNEP) ont récemment publié un plan d’action conjoint. Cette alliance tripartite s’articule autour de différentes thématiques, comme la réduction des risques liés aux épidémies transmises par des animaux, l’amélioration de la sécurité sanitaire des aliments ou encore la lutte contre la résistance aux antibiotiques. 

Une seule santé s’inscrit déjà à l’ordre du jour d’instances comme le G7, le G20, le Sommet mondial sur la santé et le Sommet des Nations unies sur les systèmes alimentaires. « Des efforts sont déjà en marche, mais le plus gros défi reste l’économie. À plus long terme, il s’agit de réduire notre train de vie pour ralentir les changements climatiques », sanctionne encore Hélène Carabin. 

L’approche Une seule santé, qui devrait être encore plus répandue, nous sensibilise à l’équilibre des écosystèmes et à l’interdépendance entre l’environnement et nous, seule façon d’adopter les mesures préventives adéquates, selon les chercheurs. 

Repenser la production alimentaire 

« Il faut revoir notre manière de produire les aliments, en faisant le lien avec la consommation d’eau, l’appauvrissement des sols ou encore la pollution », rappelle le titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les inégalités en nutrition et santé de l’Université de Montréal, Malek Batal. 

Au Canada, la production agricole actuelle représentait 10 % des GES totaux en 2021 – avec 69 mégatonnes d’équivalent dioxyde de carbone, en hausse de 39 % depuis 1990. « Les monocultures, l’emploi de pesticides, d’engrais et de divers contaminants, appauvrissent les sols, diminuent la biodiversité et les pollinisateurs », souligne le chercheur. 

Il ne milite pas pour un retour en arrière, mais pour allier les méthodes ancestrales et celles plus modernes, dans le but de redonner de la vitalité aux sols, en intégrant ainsi l’élevage des animaux sur les fermes de production maraîchères. Ce que certains fermiers d’Amérique du Sud, appartenant aux réseaux d’agroécologie, pratiquent déjà. 

La recherche participative qu’a menée son étudiante, Ana Deaconu, auprès des fermiers œuvrant en agroécologie, montre que cette dernière présente de nombreux bénéfices : meilleure santé, autonomisation des femmes, équité, diversité agricole et alimentaire, amélioration de la santé des écosystèmes et humains, accès aux semences et souveraineté alimentaire. 

Lien vers l’article original  

https://www.sciencepresse.qc.ca/actualite/2023/06/15/seule-sante-lumiere-incendies

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