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Érosion des berges du Saint-Laurent: il faut travailler avec la nature

Photo: iStock
Jacob Stolle; Damien Pham-Van-Bang, - La Conversation

Alors que l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent font face à un manque d’oxygène, les côtes du fleuve s’érodent, ce qui a des conséquences directes sur les communautés environnantes, ainsi que les écosystèmes locaux. Voici une analyse de Jacob Stolle et Damien Pham-Van-Bang, professeurs à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).


ANALYSE – Les côtes du fleuve Saint-Laurent s’érodent. Cela a un impact sur les infrastructures, l’économie et le bien-être des habitants. Elle expose les communautés aux inondations, et peut détruire les écosystèmes locaux.

Sous la menace d’une catastrophe climatique, une réflexion approfondie est nécessaire pour permettre une adaptation à un climat changeant dans le Saint-Laurent.

À l’Île-du-Prince-Édouard, le taux moyen d’érosion est d’environ 0,3 mètre par année. Au Nouveau-Brunswick, il est d’environ 0,5 mètre par année. Or, au Québec, il est plus proche de 2 mètres par an ! Et ce taux d’érosion devrait augmenter, car le changement climatique devrait faire monter le niveau de la mer, rapprochant l’eau des communautés locales. Des tempêtes plus nombreuses et plus fortes apporteront de plus grandes vagues sur le littoral et la réduction de la couverture de glace de mer permettra aux tempêtes d’hiver d’accéder au littoral, contact de la terre avec la mer.

Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies appelle à une adaptation transformationnelle, afin de repenser complètement la façon dont nous nous adaptons au changement climatique pour inclure des solutions plus durables.

En tant que professeurs d’ingénierie côtière, nous travaillons au développement de solutions immuables pour s’adapter au changement climatique dans les environnements côtiers et estuariens. Nous travaillons avec les communautés, les entreprises et les organisations à but non lucratif pour mieux comprendre comment les systèmes naturels peuvent être utilisés pour protéger les côtes contre l’érosion et les inondations.

Les approches traditionnelles ne sont plus adaptées

Au Québec, environ 97 % de l’infrastructure côtière est ce que nous qualifions de «dure». Vous pouvez les voir ces digues et brise-lames le long du fleuve Saint-Laurent, destinés à maintenir ou à faire avancer le littoral.

Cette approche est préconisée dans le monde entier, puisque la plupart des manuels de conception, des recherches et des études de cas se concentrent sur les infrastructures dures ; nous les utilisons depuis des siècles. Ces types de méthodes d’adaptation basées sur l’infrastructure sont bien établis et ont fait leurs preuves pour résoudre les problèmes à court terme sans prendre beaucoup de place sur la côte.

Le problème de l’infrastructure dure est qu’elle ne s’adapte pas à l’évolution du climat. En tant que telle, elle nécessite souvent un entretien et un réaménagement, et peut entraver l’évolution naturelle du littoral. C’est ce qu’on appelle le «coastal squeeze».

Le coastal squeeze est particulièrement problématique lorsque les côtes ont été conçues pour traiter les symptômes aigus (tels que les inondations locales) plutôt que de s’attaquer au problème sous-jacent. Ces limitations, si elles ne sont pas correctement gérées, ont tendance à déplacer ou à aggraver le problème.

On peut en voir des exemples dans la baie de Kamouraska, où la récupération des terres à l’aide de digues à des fins agricoles a provoqué la perte des trois quarts de l’écosystème des marais au cours du siècle dernier. De plus, lors de récentes inondations, ces digues ont été surmontées, piégeant l’eau salée sur les terres agricoles.

Travailler avec la nature dans un climat changeant

Les implications du changement climatique sont de plus en plus évidentes. Ses effets se font sentir dans tout le Saint-Laurent : les plages s’érodent et davantage de communautés risquent d’être inondées. Les communautés doivent s’adapter.

L’une des principales approches proposées pour s’adapter aux impacts du changement climatique est celle des « solutions basées sur la nature ». Il s’agit de systèmes de protection des côtes conçus pour inclure ou imiter les écosystèmes naturels afin de protéger et de stabiliser le littoral.

Un exemple où des solutions basées sur la nature ont été appliquées est celui du parc national Forillon, où une infrastructure dure protégeant une route avait perturbé la dynamique côtière naturelle et a provoqué la perte de la plage locale. Les chercheurs ont travaillé avec le service du parc pour éloigner la route de la côte et rétablir la végétation de la plage pour permettre à la plage de revenir naturellement.

Un autre exemple est le réalignement de la digue de Belcher Street en Nouvelle-Écosse. Pour ce projet, les chercheurs ont travaillé avec les agriculteurs et les gouvernements locaux pour déplacer une digue afin que l’eau des inondations puisse être détournée de la communauté locale vers des zones qui stockaient, jadis, l’eau débordant de la rivière. Par conséquent, cela a aussi permis à l’eau de retourner dans la plaine inondable, restaurant l’écosystème local des zones humides.

Une approche multidisciplinaire et participative

Les solutions basées sur la nature ne consistent pas simplement à planter des végétaux et à s’en aller. Il s’agit d’un système complet basé sur une approche multidisciplinaire et participative qui nécessite de travailler avec les écosystèmes, les communautés et les économies locales pour trouver des solutions.

Cela peut aller de la protection des zones humides locales au verdissement de l’infrastructure dure pour améliorer la valeur écologique, par exemple pour fournir des habitats pour les huîtres et les espèces de poissons.

Notre équipe de recherche s’affaire à mettre à l’épreuve des solutions co-développées par des groupes multidisciplinaires dans notre grand canal à vagues. Ce canal, le plus grand en Amérique du Nord, nous permet de tester et d’optimiser les solutions et les technologies dans un environnement contrôlé avant qu’elles ne soient mises en œuvre dans le monde réel.

Par exemple, nous étudions actuellement comment la restauration des marais côtiers peut protéger contre l’érosion côtière et réduire l’énergie des vagues. Grâce aux connaissances acquises lors des expériences, nous pouvons élaborer des directives pour aider les ingénieurs à intégrer la restauration des marais dans les futurs projets.

Adapter les solutions pour le Saint-Laurent

En général, le plus grand défi à la mise en œuvre de solutions basées sur la nature est le manque de compréhension et d’orientation concernant leur performance dans les régions froides comme le Canada. Au niveau international, plusieurs directives ont récemment été publiées, mais elles ont tendance à être de haut niveau sans détails spécifiques sur la façon de les mettre en œuvre.

Par conséquent, en tant que chercheurs, nous devons tester des solutions pertinentes pour le Saint-Laurent en laboratoire ou dans des modèles de simulation afin de prédire comment elles réagiront en réalité.

Il est également important de mettre en place des programmes de surveillance complets et multidisciplinaires après la mise en œuvre de ces solutions afin de développer une compréhension plus approfondie de leur fonctionnement.

Agir maintenant pour résoudre les problèmes de demain

Afin de faire face à un avenir climatique incertain, il importe de viser une planification proactive. Les solutions basées sur la nature sont complexes et prennent du temps à développer, car elles nécessitent une compréhension de l’ensemble du système. La recherche de financement pour la mise en place de projets pilotes est également chronophage. La recherche de solutions innovantes nécessite donc du temps et des compétences diverses, notamment celles de la communauté locale.

Bien que les gouvernements provinciaux et fédéraux aient commencé à mettre en place des programmes à long terme intégrant des solutions durables, il importe de réaliser que les berges du Saint-Laurent s’érodent maintenant et continueront à s’éroder.

Il faut agir promptement pour résoudre les problèmes de demain.

Jacob Stolle, Professeur adjoint, hydrodynamique côtière et fluviale, Institut national de la recherche scientifique (INRS) and Damien Pham-Van-Bang, professeur associé, Institut national de la recherche scientifique (INRS)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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