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Plus d’agresseurs parmi les humoristes? 

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Photo: iStock

En 2017, alors qu’Hollywood est submergé par une vague de dénonciation de violences sexuelles sans précédent, ici, au Québec, c’est le milieu de l’humour qui est, le premier, frappé de plein fouet. Mais pourquoi? Nos humoristes seraient-ils plus enclins à se muer en agresseurs? Métro a tenté d’y voir plus clair.  

Gilbert Rozon, Julien Lacroix, Alexandre Douville, Gabriel D’Almeida Freitas, Philippe Bond… Sans compter les 21 humoristes qui figuraient sur une liste envoyée anonymement aux médias en 2019, on peut dire que le monde de l’humour a été tristement bien représenté pour ce qui est des allégations d’agressions sexuelles ces cinq dernières années.  

«Si on a le sentiment que le milieu de l’humour a été particulièrement touché au Québec, c’est notamment parce que les dénonciations visant Gilbert Rozon [alors à la tête de Juste pour rire] ont mis en évidence à quel point il y avait de la tolérance pour ces comportements», rappelle Francine Descarries, professeure associée au Département de sociologie et membre de l’Institut de recherches et d’études féministes de l’Université du Québec à Montréal. 

Aux États-Unis comme ici, c’est d’ailleurs selon elle «le grand effet positif qu’a eu #MeToo, d’amener à rendre publics des comportements qui étaient jusque-là tolérés et tus par tout un milieu.» 

Un «boys club» et des jokes 

Deux ans plus tard, plusieurs femmes humoristes se désolent que cette prise de conscience n’ait pas abouti à plus de changements concrets. Elles créent alors «Pour les prochaines», un collectif qui a pour but de combattre la culture du viol dans le boys club qu’est le milieu de l’humour. Selon Francine Descarries, même si les femmes y ont fait leur place ces dernières décennies, l’humour est effectivement encore la chasse gardée des hommes.  

«En tant que spectatrice, ce que je constate, c’est que les palmarès en humour sont éminemment masculins. Pendant longtemps, les femmes n’étaient pas les bienvenues dans ce milieu. Et comme dans tout milieu occupé par les hommes, celui de l’humour a pu être propice au développement d’une culture alpha et donc d’une certaine permissivité face aux comportements problématiques envers les femmes», soutient la sociologue.  

Ce sont d’ailleurs les hommes qui ont défini les codes de l’humour, souligne-t-elle. Parfois même au détriment des femmes, qui ont longtemps été l’objet de caricatures véhiculant des stéréotypes, comme l’illustrent les fameuses blagues de blondes. «Sous couvert d’humour, on a perpétué des clichés sexistes et il ne faut pas penser que les paroles sont innocentes. Tout ça participe à créer un sentiment de supériorité et de mépris qui peut permettre de tourner en dérision certains gestes», ajoute-t-elle.  

Pouvoir et célébrité 

À cela s’ajoute le fait que l’industrie de l’humour au Québec est très lucrative, ce qui place les humoristes à succès, les producteurs ou autres décisionnaires dans une position de pouvoir particulièrement forte.  

«Dans le milieu artistique en général, il y a beaucoup d’asymétrie dans les relations de pouvoir», note ainsi Me Sophie Gagnon, directrice générale de Juripop. En plein cœur du mouvement #MeToo, l’organisme d’aide juridique a créé l’Aparté afin de recueillir les plaintes et d’accompagner les victimes dans le monde de la culture. «C’est un facteur de risque pour les agressions sexuelles.» 

De plus, les artistes de scène que sont les humoristes vivent du regard des autres, souligne la psychologue Line Bernier, chargée de cours en psychocriminologie à l’École de criminologie de l’Université de Montréal. «Ça peut entraîner une distorsion de l’image qu’on a de soi; en psychologie, on appelle ça l’éclatement de l’ego. On se sent supérieur et on se met à transgresser, à agir au-delà des interdits», explique-t-elle.  

Du côté des victimes, la notoriété peut aussi attirer. On fantasme et on idéalise la personne célèbre qu’on croit connaître. «On a donc d’un bord des célébrités qui ont plus tendance à agir et, de l’autre, plus de victimes potentielles à disposition», résume la psychologue. Alors, si en plus tout un milieu garde le silence, une sorte de permission implicite, qui peut avoir un effet d’entraînement, se crée.  

Un milieu éclaté  

Difficile aussi de dénoncer une agression, de se plaindre auprès d’un employeur ou de mettre en garde ses collègues dans un milieu aussi peu structuré que celui de l’humour.  

«C’est un écosystème dans lequel il y a plein de petites principautés. Il n’y a pas d’ordre professionnel, pas d’autorité suprême, mais de multiples institutions, des joueurs de plus ou moins grande taille et des lieux officiels et non officiels», décrit Christelle Paré, chercheuse indépendante, directrice pédagogique à l’École nationale de l’humour, et professeure à temps partiel à l’Université d’Ottawa. 

Une bonne part des personnes qui y travaillent sont à la pige ou multiplient les contrats courts. Elles n’ont donc pas de responsable des ressources humaines vers qui se tourner en cas de harcèlement ou d’agression.  

«Dans les domaines artistiques, les horaires de travail sont atypiques, on travaille le soir et les fins de semaine. On part en tournée et il faut partager une chambre d’hôtel et en plus il y a une culture du party qui fait qu’on ajoute parfois l’alcool et autres dans l’équation, ce qui augmente le risque de dérapages», renchérit Me Sophie Gagnon.  

Si le secteur de l’humour est celui dont on parle le plus dans les médias, ce n’est cependant pas le plus représenté en termes de monbre de plaintes reçues par l’Aparté. «Les milieux qui nous occupent le plus sont la télé, le cinéma, la musique, les art visuels, le théâtre et le milieu littéraire», tient à souligner l’avocate.

Problème réglé? 

Puisque les causes sont identifiées, comment se fait-il que cinq ans après #MeToo, le problème persiste? Eh bien, tout simplement parce que déconstruire des schémas de domination et créer un environnement plus sain pour toutes et tous, ça prend du temps.  

Dans le milieu de l’humour, Christelle Paré souligne cependant que beaucoup de solutions ont déjà été proposées, et que plusieurs d’entre elles ont été mises en place. À l’École nationale de l’humour, comme dans les autres établissements d’enseignement supérieur, une formation pour prévenir et combattre les violences à caractère sexuel est donnée à tou.te.s les élèves et un comité chargé de recevoir les dévoilements a été créé. Dans les bars et les festivals, des personnes sont parfois présentes pour assurer un safe space à toutes et à tous.  

«On sent que tous les acteurs du milieu veulent que ça aille mieux, c’est un tournant qu’on veut prendre tous ensemble. Et ça passe notamment par une meilleure communication entre nous et la mise en place de solutions pour filtrer les personnes problématiques. Aujourd’hui, il y a des blacklists qui circulent», ajoute la chercheuse.  

Si le nombre de plaintes reçues par l’Aparté est resté stable au fil des années, Me Gagnon croit aussi qu’un changement de culture est en train de s’opérer dans les milieux artistiques. La réforme du statut des artistes adoptée par le gouvernement en juin dernier, qui permet aux victimes dans ce domaine d’emploi d’enfin porter plainte auprès de la CNESST, devrait d’ailleurs grandement améliorer les choses, selon elle.   

«De plus en plus de femmes ont fait leur place dans le milieu de l’humour, ajoute la sociologue Francine Descarries. C’est aussi grâce à ça que la culture s’est modifiée, mais c’est un très long processus qui va prendre encore beaucoup de temps.» 

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