Bernard Drainville rejette l’idée d’une loi-cadre sur les violences sexuelles à l’école
Le ministre de l’Éducation Bernard Drainville a de nouveau fermé la porte à toute loi-cadre visant à mettre en place des protocoles pour le traitement des cas d’agression sexuelle dans les écoles primaires et secondaires comme le souhaiteraient des victimes présumées et les partis d’opposition.
Selon l’attachée de presse du ministre, Florence Plourde, le ministre de l’Éducation souhaite «laisser le temps aux nouvelles dispositions du PL9 [projet de loi sur le Protecteur de l’élève] d’entrer en vigueur» à la rentrée 2023.
Le rôle du protecteur national de l’élève, Jean-François Bernier, sera d’élaborer «un plan complet sur les violences sexuelles». Une «formation obligatoire pour les enseignants sur les violences sexuelles» aurait aussi été ajoutée aux responsabilités du protecteur de l’élève.
«Donc, avant de se lancer dans une autre loi, nous allons laisser la chance au Protecteur de l’élève de faire ses preuves», ajoute Florence Plourde.
Plus tôt dans la journée, des victimes présumées d’agressions sexuelles en milieu scolaire primaire et secondaire ainsi que des proches de victimes présumées se sont réunies devant les locaux du Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) pour que «l’omerta et l’impunité» cessent.
Ils ont directement interpellé le ministre de l’Éducation Bernard Drainville pour qu’une loi-cadre soit mise en place afin de prévenir ces agressions, comme c’est le cas dans les cégeps et universités depuis 2017.
Cette prise de parole est intervenue quelques heures après la parution d’une enquête dans Le Devoir, qui met en lumière des failles dans le système de traitement des plaintes pour agression sexuelle au primaire et au secondaire.
Parmi les victimes présumées, Pégalie a raconté avec émotion les agissements de son enseignant, Monsieur P, alors qu’elle était en 5e secondaire à l’école Louise-Trichet. Elle a décrit un homme qui «repoussait toujours les limites» et qui faisait des «commentaires sexuels à longueur de journée». Pégalie aurait notamment été victime d’exhibitionnisme de sa part.
«Lorsque j’ai voulu parler à la directrice de ses agissements, elle a menacé d’appeler la police si je ne partais pas et a refusé d’écouter quoi que ce soit, a expliqué Pégalie. Je suis attristée que de nombreux adultes aient préféré garder le silence et aient laissé Monsieur P abuser d’élèves.»
Pour Pégalie, le ministre Drainville doit aller de l’avant en promulguant une loi-cadre.
«Nous demandons une loi pour empêcher que d’autres cas comme ça se reproduisent», a-t-elle dit. Pendant plus de 20 ans, son agresseur présumé aurait fait de nombreuses victimes au sein des établissements où il travaillait. Les victimes présumées dénoncent le manque de communication entre les commissions scolaires alors que cet enseignant a pu continuer d’enseigner dans d’autres établissements.
La démission du président de la commission scolaire
L’enquête du Devoir rapporte que des élèves et parents de l’école primaire Knowlton Academy et de l’école secondaire anglophone Massey-Vanier High School de Cowansville auraient dénoncé à plusieurs reprises des agressions sexuelles de la part d’un même élève sans qu’aucune intervention suffisante n’ait lieu pour prévenir de futures agressions.
Jennifer Hopkins et Peter Morden sont les parents d’une victime présumée de ce jeune garçon. Leur fille avait sept ans lorsqu’il l’aurait agressé une première fois, en 2020, dans l’autobus scolaire de l’école Massey-Vanier High School. La famille aurait par la suite alerté les responsables de l’école, mais les agressions auraient perduré, se répétant une dizaine de fois.
Les personnes responsables de la protection de nos enfants ont simplement transféré le prédateur sexuel de l’école primaire à l’école secondaire, où il a continué à agresser des élèves.
Jennifer Hopkins, mère d’une présumée victime d’agressions sexuelles
La Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et la commission scolaire Eastern Townships auraient aussi été averties, mais l’élève aurait tout de même été réintroduit dans la même école.
«Elle a parlé à son enseignant, elle a parlé au [directeur], elle a parlé à la police, elle a bravement raconté son histoire à de multiples reprises pour arrêter son agression et pour protéger les filles dans le futur, a raconté en larmes Jennifer Hopkins. Le système en place a échoué et il a failli aux élèves de Massey-Vanier.»
Les deux parents ont aussi demandé au ministre Drainville d’aller de l’avant avec une loi-cadre. Ils ont aussi réclamé la démission du président de la Commission scolaire Eastern Townships, Michael Murray.
«Je demande à Monsieur Murray: quand des parents et des élèves vous ont écrit des courriels pour vous avertir du danger de ce garçon […], pourquoi n’avez-vous pas agi? Pourquoi avez-vous défendu son droit à une éducation au dépit de la sécurité de nos enfants?» a lancé Jennifer Hopkins. «Ils le savaient et il a continué en défendant ce garçon au-dessus des droits de notre enfant», a-t-elle ajouté.
L’agresseur présumé a été arrêté le 28 mars dernier et fait face à 11 chefs d’accusation, notamment des chefs d’agression sexuelle, de contacts sexuels, de séquestration et de harcèlement.
Les oppositions font front commun
Les partis d’opposition présents vendredi matin ont joint leurs voix pour demander au ministre Drainville la mise en place d’une loi-cadre qui s’appliquerait aux écoles primaires et secondaires. Cette dernière donnerait davantage de ressources aux victimes en obligeant les écoles à avoir une politique de traitement des plaintes approuvée par le ministère et les experts. Elle obligerait aussi les professionnels à suivre une formation adaptée.
«Monsieur Drainville, vous êtes ministre de l’Éducation et vous avez le devoir de protéger des mineurs qui sont victimes d’agressions sexuelles dans l’endroit qui doit être sécuritaire pour eux, c’est-à-dire les écoles primaires et secondaires», a déclaré la responsable de Québec solidaire en matière d’éducation Ruba Ghazal.
Le ministre Drainville avait ordonné en mars dernier la tenue d’une enquête «de portée générale» à la suite d’allégations de violences sexuelles dans des écoles. À de multiples reprises, le ministre a mis de l’avant le rôle que jouera le protecteur national de l’élève dès septembre prochain dans la mise en place de solutions contre les violences sexuelles.
Pour Ruba Ghazal, la loi-cadre ne viendrait pas interférer avec la mission du protecteur national de l’élève, car elle agirait davantage sur la prévention des agressions sexuelles. Il y a quelques semaines, son parti a proposé pour une seconde fois un projet de loi en ce sens.
«En ce moment, notre système d’éducation échoue à protéger les jeunes des mineurs, on ne peut pas accepter ça, a expliqué Ruba Ghazal. Il y a une enquête de portée générale, mais elle regarde les cas d’agressions sexuelles qui ont déjà eu lieu.»
Le porte-parole du Parti libéral du Québec (PLQ) en matière de justice, André Albert Morin, soutient l’importance d’une telle loi-cadre pour protéger les plus jeunes.
«Il faut permettre aux victimes de dénoncer et surtout quelle reçoivent une écoute attentive», a-t-il dit.
La commission scolaire Eastern Townships n’a pas répondu aux questions de Métro au moment où ces lignes étaient écrites.