Entre troubles psychiatriques et homicides, quelle est la frontière?
Le premier ministre François Legault a réaffirmé sa volonté de renforcer l’offre de services en santé mentale à la suite des différents drames qui ont frappé les villes de Laval, d’Amqui et de vendredi dans Rosemont à Montréal. Alors que les manchettes font le lien entre santé mentale et homicide, que sait-on sur ces personnes qui, souffrant d’un trouble psychiatrique, commettent l’irréparable?
Il est important de souligner que ce ne sont pas tous les troubles psychiatriques qui peuvent amener une personne à poser des gestes de violence, rappelle une psychiatre légiste à l’Institut national de psychiatrie légale Louis-Philippe-Pinel, la Dre France Proulx.
«C’est un peu une légende urbaine que les gens qui ont des troubles mentaux sont des personnes à risque de violence, explique-t-elle. Ce qu’on retrouve plus souvent, ce sont des gens qui vont être davantage victimes de violence que d’être les agresseurs.»
La Dre Proulx mentionne une étude de l’Université de Columbia qui s’était intéressée au profil psychiatrique des tueurs de masse. Cette étude avait montré que seulement 11% de ces personnes souffraient d’un trouble psychotique, et que cette proportion était de 18% dans le cas d’attaques autres que celles commises par arme à feu.
Quels troubles psychiatriques sont concernés?
Certains troubles psychiatriques sont plus à risque d’engendrer de tels actes, selon la Dre Proulx. On retrouve tout d’abord la grande famille des psychoses, comme les troubles délirants et la schizophrénie, de même que le trouble bipolaire, où peuvent se développer des symptômes de psychose à un stade où la maladie est dégénérative.
De manière générale, une personne est plus à risque de commettre un homicide lorsque le contact avec la réalité est atteint par ses idées délirantes et ses hallucinations.
«Si un trouble mental est impliqué dans un geste de violence et qu’on voit un lien entre les symptômes et le geste de violence, c’est souvent des troubles psychotiques, mais la grande majorité des gens qui ont un trouble psychiatrique ne poseront pas un geste de violence», explique la psychiatre.
Lors de l’évaluation clinique, les psychiatres vont être très vigilants si la personne présente des hallucinations qui lui ordonnent de faire des choses. C’est ce qu’on appelle des hallucinations impérieuses.
Une attention sera aussi portée aux idées délirantes de persécution. Dans ce cas de figure, les personnes se sentent en danger et vont agir pour se défendre de ce qu’elles perçoivent comme une menace venant de l’extérieur. Dans certains cas, des personnes peuvent aussi vouloir sauver leurs proches en pensant que des êtres maléfiques se sont emparés d’eux.
La Dre Proulx rappelle que les homicides restent des événements «exceptionnels» sur le plan de la fréquence. Le caractère relativement rare de ces événements rendrait d’ailleurs difficile de récolter des données et d’établir des statistiques pour mieux comprendre ces phénomènes.
L’impuissance face à l’imprévisibilité
Pour la psychiatre légiste, il est important de ne pas «tomber dans le piège de faire une histoire à rebours en disant qu’il y avait tel signe ou tel indice qui aurait dû être vu et mener à une intervention», car selon elle, une très grande proportion de gens peuvent avoir des symptômes et des propos menaçants sans jamais passer à l’acte de façon agressive.
«C’est toute la dimension d’imprévisibilité qui préoccupe les gens et tout le monde est interpelé du fait de ces événements tragiques là», dit-elle.
Dans sa pratique, la Dre Proulx surveille différents facteurs qui pourraient augmenter le risque qu’une personne commette un geste de violence. Tout d’abord elle cherche à voir la présence d’une maladie psychiatrique qui entraîne des symptômes pouvant influencer le comportement de façon violente.
Elle va aussi chercher à savoir si la personne a des antécédents de violence, sa façon de gérer les émotions négatives, comme la colère, et si elle présente des facteurs de désinhibition comme un état d’intoxication.
La prise de substances comme le cannabis avec de hautes teneurs en THC, les dérivés de la cocaïne et les amphétamines peuvent exacerber des psychoses dites «toxiques», c’est-à-dire qu’elles sont déclenchées par la prise de substances.
Pour la Dre Proulx, la quantité et le type de substance que la personne peut consommer représentent un élément «hautement imprévisible» qui peut entraîner des compensations psychotiques et amener la personne à devenir violente.