L’informatique révolutionne la justice
Portrait. L’arrivée de l’informatique dans les palais de justice a non seulement été bénéfique pour les avocats et leurs clients, mais aussi pour les juges. Avocat de 1966 à 1994 puis juge jusqu’à 2019, Paul Vézina a applaudi l’arrivée de la technologie à tous les niveaux.
«Aujourd’hui, lorsqu’on veut rechercher une cause, on pitonne. On trouve où elle a été citée avec tous les détails, mais avant cela, il y avait des volumes de compilations de jugements.» Juge à la Cour supérieure de 1994-2005, puis à la Cour d’appel jusqu’en 2019, c’est la Constitution canadienne qui l’a forcé à se retirer en 2018 en raison de ses 75 ans.
«Le plus difficile c’est de fonctionner sans papier. C’est un gros défi. Même à la Cour d’appel actuellement, vous devez produire des documents papier et électroniques.
-Me Paul Vézina
Avant le développement technologique, raconte-t-il, tout était plus lent et ardu. «Notre code de procédure précisait que la facture était remise au client à la fin de son dossier. Parfois, on demandait une avance, mais le dossier pouvait durer deux, trois ou parfois quatre ans. C’était la tradition. Ensuite, on est venu à inscrire notre temps et on faisait nos comptes de façon périodique. On avait un beau petit système de papier pour marquer les détails. C’était bien pensé.»
Paul Vézina raconte que ne sont pas toutes les causes qui étaient archivées. «Il y avait un métier, l’arrêtiste, qui faisait le choix des jugements qui allaient être publiés. Un juge à New Carlisle avait déjà dit: si vous me citez de la jurisprudence, assurez-vous qu’elle soit dans la bibliothèque, car moi, c’est seulement celle que j’aie. Aux États-Unis, si un jugement n’était pas publié il ne pouvait pas être cité, car cela créait une inégalité entre les parties.»
Certains avocats étaient parfois plus ratoureux, précise-t-il en riant. «On arrivait pour plaider et la partie adverse sortait un jugement qu’on n’avait jamais vu parce qu’il n’était pas publié. C’étaient tous des outils manuels qui suppléaient l’absence d’information qui aujourd’hui, sont devenus dépassés et désuets. Nous avions aussi des systèmes de microfiches.» Il raconte qu’à cette époque, juges et avocats pouvaient s’appuyer sur de volumineux volumes regroupant des jugements identifiés sous le nom d’Index Gagnon.
La technologie
L’arrivée des traitements de textes a métamorphosé le fonctionnement de la justice à tous les niveaux. «Imaginez avant, lorsque les secrétaires écrivaient quelque chose en cinq copies avec des carbones, s’il y avait une erreur, la corriger était réalisable difficilement. Il y avait une note écrite en bas de page identifiant la 1e à la 5e copie. La dernière feuille était parfois difficile à lire.»
Le développement de l’informatique a rendu les juges et les avocats plus autonomes. «Auparavant, chaque avocat avait une secrétaire. Maintenant, c’est souvent trois secrétaires pour 10 avocats. L’accès aux jugements est instantané et c’est aussi tout un changement de culture.» Il souligne que le papier en justice ne disparaîtra pas complètement avant quelques années. De plus, tous les jugements des 30 dernières années, voire plus, sont maintenant accessibles via Internet.
Comme juge, Paul Vézina raconte qu’il entendait souvent une quinzaine de causes par semaine sur une période de 14 semaines. «Cela faisait beaucoup de volumes de papier. Il fallait aussi parfois aller à Montréal.» Il cite d’ailleurs le juge Clément Samson qui représente la nouvelle génération branchée à l’informatique. La visioconférence a aussi apporté un changement majeur en minimisant les déplacements.
«Aujourd’hui, c’est la vitesse avec laquelle les échanges se font qui est phénoménale. Avant, on disait, c’est dans la malle, le chèque est dans la malle [rires…]. Aujourd’hui, ça n’existe plus, car c’est instantané par le courriel ou par le dépôt direct.» À la question: si vous étiez encore juge aujourd’hui, écririez-vous vos notes de cour sur un clavier ou à la main? Il répond du tac au tac «je conserverais ma bonne vieille méthode à la mitaine.» [rires…]