Les boissons sans alcool donneraient envie de boire… de l’alcool
Bière, vin, gin, rhum ou même whisky… sur les tablettes des épiceries comme à la SAQ, tous se déclinent maintenant dans une version non-alcoolisée. Mais, en imitant si bien le goût de l’alcool, ces boissons peuvent-elles vraiment nous aider à arrêter de boire?
Avec le Dry January qui vient de s’achever et le Défi 28 Jours sans alcool qui commence, peut-être avez-vous pris le temps de réfléchir à votre consommation d’alcool. Peut-être même que vous avez acheté une bouteille de gin sans alcool dans l’idée de préparer une version sobre de votre cocktail préféré. Bonne idée, non?
«Pour les personnes qui n’ont pas de problème de consommation et qui veulent simplement boire moins, oui, ce genre de boissons sans alcool peut être un substitut intéressant», répond Didier Jutras-Aswad, chercheur-psychiatre au CHUM et professeur agrégé au département de psychiatrie et d’addictologie à l’Université de Montréal.
Une opinion que partage aussi Anne Elizabeth Lapointe, directrice générale de la Maison Jean Lapointe qui organise chaque année le Défi 28 jours: «C’est une option intéressante pour les gens qui aiment le goût des cocktails, de la bière ou du vin mais qui veulent prendre une pause».
En revanche, tous deux s’accordent pour dire que ces produits qui imitent des boissons alcoolisées pourraient avoir plus d’effets néfastes que bénéfiques pour celles et ceux qui ont des problèmes de consommation et s’efforcent d’arrêter de boire.
Depuis la publication des nouvelles recommandations de consommation d’alcool du CCDUS…
– 5% des Québécois.e.s ont dit vouloir arrêter de boire
– 17% ont affirmé vouloir diminuer leur consommation d’alcool en 2023.
Source : sondage Léger commandé par la Fondation Jean Lapointe
Un effet paradoxal
Même si de manière anecdotique, certaines personnes qui souffrent d’alcoolisme peuvent se servir un petit mocktail sans ressentir la moindre envie de boire de l’alcool, dans la plupart des cas les bières, eaux-de-vie et autres vins non-alcoolisés sont à éviter.
«On pourrait être portés à croire que comme il n’y a pas d’alcool, ces boissons sont un bon substitut, mais les données scientifiques sur le sujet démontrent que ça peut avoir un effet paradoxal, explique Didier Jutras-Aswad. S’exposer à des produits qui ressemblent à de l’alcool peut induire le désir de consommer.»
La couleur, l’odeur, le goût sont autant de stimulis qui peuvent provoquer une réponse à la fois biologique et psychologique chez les personnes qui ont des problèmes de consommation, faisant émerger le désir de boire, précise ainsi l’expert en addictologie.
«Si votre boisson préférée était le gin tonic, boire un cocktail sans alcool qui ressemble à cette boisson-là pourrait très facilement entraîner une rechute», illustre Anne Elizabeth Lapointe.
Déstigmatiser et conscientiser
En outre, on pourrait se questionner sur ce que signifie l’existence de toutes ces options sans alcool. Traduisent-elles une volonté collective de moins consommer d’alcool ou sont-elles le signe de la place importante qu’a l’alcool dans un contexte social? Ressent-on le besoin de «faire semblant» de boire en ayant une coupe de vin sans alcool à la main?
«L’alcool est intégré à nos sociétés de toutes sortes de façons et il est vrai que le fait de ne pas boire d’alcool est souvent stigmatisé, rappelle Didier Jutras-Aswad. C’est très positif qu’on est autant de choix aujourd’hui, mais peut être que l’émergence du sans alcool est une conséquence de cette stigmatisation.»
De la même manière que les personnes qui ont des problèmes de consommation ne devraient pas être jugées, celles et ceux qui ne boivent pas ne devraient pas non plus être montré.e.s du doigt, croit Anne Elizabeth Lapointe.
«Quelque part, les boissons non-alcoolisées qui imitent le goût de l’alcool sont complètement symptomatiques de la place qu’a l’alcool dans nos vies. Ça nous permet de mettre le doigt sur le fait qu’on est très souvent incités à boire, dit-elle. Il y a encore beaucoup de travail à mener pour que tout le monde soit plus conscientisé et connaisse les risques liés à la consommation d’alcool.»