Le moment est venu de rehausser la norme d’entrée à la profession
Le ministre Christian Dubé propose un nouveau plan d’action pour une refonte du système de santé et des services sociaux. Une autre, diront les plus cyniques. Or, s’il y a un enjeu auquel il faut s’attaquer rapidement, c’est certainement celui de la formation du personnel infirmier. Les enjeux relatifs à la main-d’œuvre infirmière ont fait couler beaucoup d’encre depuis le début de la pandémie et il est maintenant temps de recentrer le dialogue autour d’un échange pragmatique et ouvert sur des solutions concrètes.
Le Québec n’a jamais compté autant d’infirmières et se compare avantageusement aux autres provinces canadiennes. Le nombre d’infirmières par 100 000 habitants en soins directs était de 762 en 2021 au Québec, contre une moyenne canadienne de 662 en 2020. Le problème des soins infirmiers est ailleurs.
Pénurie d’expertise et non de nombre
Au Québec, la profession infirmière détient, avec les médecins, le champ d’exercice le plus important avec 17 activités réservées. La portée des activités réservées à haut taux de préjudice pour les patients, dont l’évaluation de la condition physique et mentale d’une personne symptomatique et le suivi de problèmes de santé complexes, est restreinte en raison d’une combinaison d’éléments absents ou incomplets dans les programmes collégiaux, tels que les sciences fondamentales ou l’utilisation critique de données scientifiques.
Le manque d’uniformité dans les programmes de formation se traduit par une occupation de seulement 50 % en moyenne du champ de pratique infirmier au Québec. Notre système de santé manque d’infirmières formées à l’université, dans les hôpitaux et les CHSLD, pour les soins ambulatoires et les soins à domicile, pour les soins critiques, la prévention des infections et les autres soins plus spécialisés.
La solution
Le Rapport des commissaires sur les États généraux de la profession infirmière 2021 recommande de faire du baccalauréat le seul diplôme donnant accès à un permis d’exercice de la profession infirmière au Québec dans un horizon de cinq ans. Il recommande également de maintenir deux parcours de formation pour obtenir le titre d’infirmière, soit la formation initiale en sciences infirmières à l’université et le programme intégré DEC-BAC.
Selon ce scénario, les cégeps continueront à jouer un rôle de premier plan pour une formation infirmière de qualité en fournissant la portion collégiale du DEC-BAC. De plus, toutes les infirmières bénéficieront des apprentissages de niveau universitaire qui sont nécessaires au déploiement complet des activités réservées.
Une formation technique ne suffit plus : la relève infirmière doit évoluer afin d’être en mesure de mieux répondre à la diversification et à la complexification des besoins en santé de la population. Dans ce contexte, un enrichissement au niveau universitaire de la formation initiale est nécessaire afin de permettre un déploiement complet de l’expertise infirmière.
Bénéfices tangibles
La formation universitaire aura, à terme, des bénéfices réels. Notre système de santé verra la pression grandement atténuée sur ses effectifs, enregistrera une meilleure performance et des gains d’efficience et financiers importants.
D’ailleurs, pas moins de 67 études internationales ont conclu notamment qu’une hausse de 10 % de la proportion d’infirmières formées à l’université permettrait une baisse de 4 % à 14 % du risque de mortalité. De plus, la durée de séjour des personnes atteintes de troubles de santé mentale diminuerait de 15 % suivant une augmentation de 20 % à 40 % de la proportion des infirmières formées à l’université.
En Ontario, la nouvelle norme d’entrée à la profession a permis à la province d’enregistrer un taux de croissance de 197 % du nombre de diplômés universitaires entre 2015 et 2018, alors que dans cette même période, on enregistrait au Québec une hausse de seulement 8 %.
Nous sommes convaincues que de faire du baccalauréat l’unique norme d’entrée à la profession pour les générations futures d’infirmières est une des solutions qui s’impose pour faire face à la pénurie d’expertise en soins infirmiers. Ultimement, une formation universitaire permettra un meilleur accès à des soins de santé et à une offre équilibrée qui ne repose pas uniquement sur les médecins.
Kathleen Lechasseur, Présidente de l’Association canadienne des écoles de sciences infirmières – région de Québec