Société

Comment rester amis sans partager les mêmes valeurs? 

L’un.e de vos ami.e.s proches ne partage pas vos idées ou des valeurs importantes à vos yeux: est-ce grave, docteur? Est-ce une bonne raison de remettre en question votre amitié? Comment faire pour préserver cette relation malgré les tensions? Deux psychologues répondent à nos questions. 

Tout d’abord, il faut se questionner sur ce qui fait qu’une amitié est importante pour nous et sur ce qu’elle nous apporte, répond spontanément la psychologue et conférencière Geneviève Beaulieu-Pelletier. « C’est correct qu’on ait des idées ou des valeurs différentes de nos amis, mais lorsque ça devient frustrant, dérangeant, et que ça affecte vraiment la qualité des échanges avec l’autre, là je trouve que c’est important de se questionner. » 

En revanche, si nos idées politiques, nos choix de vie ou nos différences philosophiques n’ont pas d’impact au quotidien dans nos comportements, «pourquoi s’en faire?», demande la psychologue et auteure Josée Jacques. « Je peux aimer une personne pour plein de choses, mais être en désaccord avec son opinion. Il faut distinguer la personne qu’on aime de ses opinions et de ses pensées », conseille-t-elle. 

Établir ses limites 

L’important, selon Geneviève Beaulieu-Pelletier, c’est de verbaliser nos besoins et de mettre certaines limites, certaines balises, pour éviter la confrontation. « Ça dépend à quel point on est prêt à accommoder son ami », explique-t-elle.  

Notre ami.e n’aime pas la viande au point d’être choqué.e si l’on en mange en sa présence? On peut s’ajuster à son besoin et préparer un repas végane. Sinon, si ce n’est pas possible, on ne l’invite tout simplement pas à notre barbecue ou à notre soirée de Superbowl spécial ailes de poulet et on trouve une autre occasion pour se voir. 

Le besoin de convaincre 

Autre facteur de confrontation: le niveau de politisation d’une personne et son goût pour le débat. « On n’a pas un devoir de défendre ses convictions avec tout le monde, tous les jours, soutient Josée Jacques. Ce n’est pas une nécessité de convaincre les autres et d’entretenir un discours moralisateur. Parfois, il vaut mieux prôner l’exemple par nos comportements plutôt que par la parole. » En revanche, cela n’empêche pas qu’on peut inciter « tout doucement » notre ami.e à adopter d’autres comportements.  

Mais à quoi répond ce besoin de convaincre ou de confronter? « Quand on a autant besoin de convaincre les autres, on peut vouloir être validé ou être confirmé dans nos choix », explique Josée Jacques.

On n’est pas si sécure que ça quand on a toujours besoin d’imposer ses idées aux autres.

Josée Jacques, psychologue et auteure

La peur du débat 

À l’inverse, pourquoi certaines personnes n’aiment-elles pas débattre? « Il y a des gens qui ont d’énormes difficultés avec la colère, explique Geneviève Beaulieu-Pelletier. Quand je débats d’un point, c’est qu’il y a quelque chose avec quoi je suis en désaccord, qui me mobilise et qui me frustre possiblement. » 

C’est très beau, l’affirmation de soi, précise la psychologue, cependant certaines personnes préfèrent moins s’exposer, ayant peur de leur propre colère ou de celle de l’autre. 

On peut aussi avoir un sentiment d’incompétence, sentir qu’on n’est pas à la hauteur, que l’autre a donc de meilleurs arguments et qu’on n’arrivera pas à expliquer notre point de vue.

Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue et conférencière

Un sentiment parfois nourri par une expérience familiale, professionnelle ou autre où notre opinion a souvent été dévalorisée. Ce sentiment peut aussi être alimenté par l’impression que notre point de vue est minoritaire, ce qui peut soit nous inhiber, soit nous pousser à la confrontation. 

Enfin, certains préjugés et stéréotypes peuvent expliquer cette inhibition, constate Geneviève Beaulieu-Pelletier. Par exemple, par peur de subir du mansplaining (« mecsplication »), une femme pourrait préférer se taire plutôt que de défendre ses idées. 

« La réalité, on la perçoit à travers certains filtres, précise la psychologue. Notre vécu peut faire en sorte qu’on est beaucoup plus sensible à une situation où il y a du mansplaining et qu’on puisse parfois devenir hypervigilant. Cela fait en sorte qu’on le voit plus vite que d’autres. Parfois, ça peut aussi biaiser la réalité. Ainsi, à certains moments, je peux voir du mainsplaining là où il n’y en a pas ou là où il y en a peu. » 

Le plaisir de mieux se comprendre 

En revanche, le simple plaisir du débat peut faire partie de l’équation et cela peut être positif si cet échange permet d’évoluer et d’avoir une vision plus globale de certaines choses, rappelle Josée Jacques. 

« Gérer une amitié, c’est accepter qu’on puisse échanger, qu’on puisse tenter de connaître le point de vue de l’autre, sans nécessairement vouloir absolument avoir raison ou convaincre. »

La finalité, ce n’est pas que l’autre pense comme moi, mais le plaisir de mieux se comprendre. 

Josée Jacques, psychologue et auteure

Et cet échange peut possiblement devenir riche et stimulant, au point d’influencer ou de teinter notre façon de voir. Mais il faut avoir la flexibilité mentale et l’ouverture pour recevoir le point de vue de l’autre, conclut Josée Jacques. 

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