Société

Pour en finir avec la suprématie du numérique

CHRONIQUE – On a banni des artistes qu’on aimait pour moins que ça. Alors qu’on a boycotté des personnalités publiques pour avoir parlé fort à du monde, dit un mot raciste dans un contexte académique ou mordu une cuisse, on s’aplatit comme des crêpes devant la suprématie de plus en plus décomplexée des géants du numérique. Où est notre capacité d’indignation collective devant un Meta qui décide de bloquer les médias d’information de ses plateformes Instagram et Facebook?

L’heure est grave. Vous n’en ressentez peut-être pas encore les effets, mais bientôt, la stupidité des discussions dans vos partys de famille sera dorénavant entièrement commanditée par des pages Facebook de mèmes racistes et/ou le site web d’un Kéven qui a trouvé comment faire la piasse avec des titres accrocheurs à la «Vous ne devinerez jamais ce que cette vendeuse du Rossi a trouvé dans ses fesses». Parce que ça, malheureusement, ça ne sera pas bloqué de vos fils d’actu.

Et on laisse faire ça. Non contents de cette menace directe à notre démocratie, on en redemande! Plutôt que de nous détourner des réseaux sociaux de Meta, on s’empresse de s’abonner à une autre de ses plateformes, Threads, pour être absolument certains de ne rien manquer et surtout de ne jamais être oubliés, comme les junkies d’attention que nous sommes.

On échafaude des campagnes de salissage archi-agressives contre une compagnie de machine à eau pétillante parce qu’elle est détenue par des intérêts israéliens, on déchire notre chemise parce que le président d’une entreprise de spaghettis a dit qu’il préférait les familles ordinaires comme ses pâtes, mais on tient trop à pouvoir continuer de gaspiller trois heures par jour à comparer notre vie banale à celle des autres pour remettre le moindrement en question le pouvoir que Mark Zuckerberg a sur nous?

On est trop satisfaits de pouvoir laisser notre destinée entre les mains d’un algorithme dont le secret est aussi opaque que ses effets sur notre santé mentale. On est trop enthousiastes à l’idée de donner nos données parce que ça nous facilite tellement la vie de ne pas avoir à créer un mot de passe pour toutes les applications niaiseuses auxquelles on s’abonne. Vraiment, on est trop attachés à tout le bonheur, la plus-value que Facebook et Instagram apportent à nos vies pour être capables de nous en départir. Si Meta était un individu, les drapeaux rouges de cette relation toxique nous claqueraient en plein visage, mais on en redemanderait encore, parce qu’on est déjà trop accros! Si Meta était un individu, il ressemblerait de plus en plus à Donald Trump. Une personne avide de pouvoir qui se contrefiche de toute préoccupation morale.

Je suis déçue de nous. Où sont passés nos beaux principes à la #MeToo, à la #BlackLivesMatter, devant les agissements des Apple, Amazon, Meta et Netflix? Où est notre capacité d’indignation devant les bassesses immorales de ces personnes morales qui, sans vouloir minimiser les comportements d’agresseurs, ont des répercussions beaucoup plus dommageables sur nos vies? On les aime trop, on aime trop notre iPhone et ses minéraux critiques récoltés par des enfants. On aime trop recevoir en 24 heures une cochonnerie qu’on n’est même plus sûrs d’avoir commandée pour préférer notre commerce local à Amazon. On aime trop s’enfiler 12 heures du drame réel de la vie de quelqu’un d’autre pour soutenir les artistes qui reçoivent des chèques de -3¢ pour leur travail. On dit souvent que ces géants du numérique ont fait de nous leur produit. Force est de constater que nous aimons être objectifiés de la sorte. Avec sa décision de barrer les nouvelles de ses plateformes, Meta ne fait pas seulement une démonstration de sa force, elle fait aussi une démonstration de nos faiblesses.

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