Société

Pénurie de bonnes conditions de travail

CHRONIQUE – Accepteriez-vous d’occuper un emploi dans lequel vous savez quand votre quart de travail commence, mais vous ignorez à quelle heure il pourrait se terminer? C’est un peu l’offre imbattable que fait le ministère de la Santé et des Services sociaux aux infirmières en ce moment. Vous pourriez gagner le double en agence, organiser vos horaires en fonction de vos impératifs familiaux au privé, prendre congé quand bon vous semble… mais venez plutôt travailler au public pour… aucun semblant d’avantage.  

L’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec annonçait cette semaine qu’il n’y avait jamais eu autant d’infirmières au Québec qu’en ce moment. Pourtant, on ne cesse de parler de pénurie de personnel. Plusieurs lits sont fermés faute d’effectifs, des CISSS et des CIUSSS sont prêts à payer jusqu’à 150$ de l’heure pour retenir les services d’infirmières d’agence afin de combler la pénurie de main-d’œuvre dans le réseau public. 

En réalité, il n’y a pas une pénurie d’infirmières, il y a une pénurie de bonnes conditions de travail dans le secteur public. Les infirmières sont là, mais elles ne veulent tout simplement pas travailler dans le public, et on peut les comprendre. Je parle à plusieurs infirmières ces jours-ci dans le cadre de mon travail. L’une d’elles m’expliquait sa réalité. Son chum travaille dans les mines selon un horaire 21/21 : 21 jours dans le nord, 21 jours de congé à Montréal. Pour coordonner son horaire avec celui de son conjoint, elle décide de travailler en agence, ce qui lui permet le même régime. L’agence l’envoie aux quatre coins du Québec, à coup de 21 jours, logée et nourrie, payée près du double, pour combler les besoins en région éloignée du réseau public. Elle pourrait aussi décider de travailler près de chez elle, via l’agence, pour le même hôpital qui désire l’embaucher, mais qui n’a pas la flexibilité de lui offrir un horaire qui lui convient davantage. En plus, elle n’a pas à faire de temps supplémentaire obligatoire, une mesure qui devrait être exceptionnelle, mais qui est de plus en plus utilisée comme mode de gestion par certains hôpitaux. Une pratique que certaines infirmières comparent à de la prison, du travail forcé, à une forme de séquestration.  

Cette infirmière a beau croire à l’importance du public, il y a une limite à se sacrifier au nom de ses valeurs sociales-démocrates. Elle me disait : je sais que ça peut être choquant à entendre, j’aimerais ça travailler pour le public, mais que ferais-tu à ma place?  

L’Ordre observe une hausse de 19% d’infirmières qui décident de travailler en agence par rapport à l’an passé. Il n’y a pas de pénurie d’infirmières, mais le gouvernement devrait agir comme s’il y en avait une. Parce qu’il est en compétition avec le secteur privé, qui a visiblement plus à offrir. Pire, il est en compétition avec un secteur privé dont il est maintenant dépendant, car il a besoin des agences, celles-là mêmes qui le privent de la main-d’œuvre dont il a besoin. Il alimente sa propre compétition! Une compétition qui, on s’en doute, a un coût, que l’on paie collectivement, en plus de subir les effets d’une pénurie créée de toutes pièces. 

Non seulement peut-on comprendre pourquoi de plus en plus d’infirmières préfèrent le privé, on peut difficilement en vouloir à celles qui cèdent à la tentation de délaisser le public. Malgré des valeurs sociales-démocrates. Parce que ce qui serait vraiment progressiste, en réalité, ça serait de donner aux infirmières – majoritairement des femmes – des conditions de travail qui sont à la hauteur de ce qu’elles méritent.  

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