Bios, équitables, locaux, fonctionnels (« alicaments »), en vrac ou emballés, les aliments multiplient leurs formes pour composer une assiette plus éclatée qu’auparavant. Aujourd’hui, le consommateur se soucie de sa santé et y ajoute des pratiques alimentaires qui respectent des valeurs sociales et environnementales.
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Isabelle Burgun | Agence Science-Presse
Et l’aspect médiatique joue aussi : « lorsqu’une vedette comme Ricardo parle du piment d’Espelette dans une recette, les consommateurs vont en vouloir et les marchands doivent alors s’en procurer rapidement », confirme la professeure au Département de marketing et chercheuse associée à l’Observatoire ESG UQAM en consommation responsable, Francine Rodier, qui participait cette semaine à un colloque de l’Acfas sur les reconfigurations de l’espace marchand.
Cette évolution se présente toutefois à géométrie variable suivant les pays. La Pr Rodier s’est intéressée à l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni. Elle constate que les aliments fonctionnels sont en croissance dans ce dernier pays tandis qu’en Italie, c’est plus le bio qui a la cote et qu’en France, il y a une montée de préoccupations autour de la consommation de viande. « Cela va de pair avec le souci de protection des animaux et la tendance au végétarisme très forte, tout comme le sans sucre ou le sans gluten ».
L’évolution des pratiques alimentaires au Québec ressemble selon elle à celle du fromage mozzarella : « il y a eu tout d’abord la bufflonne, pour les connaisseurs, puis celle de vache, plus populaire. Elle est arrivée au Québec avec une consistance hachée, puis elle a pris de la fermeté, diverses formes et diverses provenances. Ce fromage a fait du chemin, tout comme les légumes et les autres aliments », détaille la chercheuse.
Elle note aussi une évolution en faveur de l’alimentation locale. Les aliments du Québec sont plus connus, mieux identifiés. Les consommateurs deviennent conscients de la provenance de ce qu’ils consomment et de l’impact sur l’environnement du circuit de distribution alimentaire.
Le local dans l’assiette
Mais il reste bien du chemin à faire. Manger local à Québec, une réalité ou une utopie ? s’interroge l’étudiante à la maitrise en agroéconomie de l’Université Laval, Marilou Des Roberts, qui participait à un second colloque de l’Acfas qui, outre l’alimentation, portait sur la gouvernance, la gestion du développement durable, les modalités de participation et la vie démocratique.
Sa recherche montre que 38 % des besoins caloriques des consommateurs de la région de Québec sont comblés par la production alimentaire régionale, lorsqu’on limite la part de l’élevage dans le calcul — ce qui est similaire à la moyenne provinciale de 35 %.
La jeune chercheuse participe au projet REPSAQ — un partenariat alliant recherche et mobilisation des connaissances autour de l’alimentation durable pour la Communauté métropolitaine de Québec (CMQ), qui regroupe 800 000 habitants au sein de 28 municipalités des deux rives du Saint-Laurent.
Pour nourrir tout ce monde, la CMQ repose sur un bassin de production alimentaire de près de 34 000 km2. On y trouve beaucoup d’élevage, porcs en tête, ainsi que du sirop d’érable, mais peu de production de légumes. Aussi, beaucoup de production pour les animaux : « dans notre région, où les animaux d’élevage dominent, on produit 6 fois plus de calories pour les animaux que pour les humains », relève la chercheuse.
Ce qu’on produit dans la région n’est pas toujours ce qu’on consomme localement. Par exemple, la consommation de viande de la population varie, car elle ne se cantonne pas à la viande de porc locale, mais touche aussi la viande d’agneau du Centre-du-Québec ou le bœuf de la Montérégie. « La production porcine locale couvre 980 % de la consommation de viande de la CMQ ou 358 % de celle de la province, si les gens ne mangeaient que du porc, et elle se destine majoritairement au marché d’exportation », convient la chercheuse.
Cette inadéquation entre production et consommation locale résulte de différents facteurs : un consommateur habitué à une disponibilité à l’année de nombreux fruits et légumes d’ailleurs, un problème de saisonnalité des aliments québécois — impossible de consommer nos fraises toute l’année — et la particularité du marché de distribution.
« Les pommes de l’île d’Orléans se dirigent en grande majorité vers les centres de distribution de Montréal avant d’être redistribuées dans les marchés régionaux », rappelle Marilou Des Roberts. Elle accueille la nouvelle politique bio-alimentaire du Québec avec beaucoup d’espoir, car elle soutiendra mieux la production locale.
Mais cela risque de ne pas suffire. « Cela passe aussi par l’éducation. Nous avons des produits de meilleure qualité, mais si les gens ne les connaissent pas ou pensent, à tort, qu’ils sont chers, ils vont les bouder », relève la chercheuse.
Les nouvelles manières de se mettre à table
Francine Rodier note également un éclatement des manières de manger, liées autant aux valeurs environnementales qu’aux innovations technologiques : zéro-déchets, les « aliments moches », l’achat en ligne et la livraison collaborative — le « Uber de la livraison » — ainsi que les boîtes d’aliments réunis pour faire une recette (Boîte du chef). L’intelligence artificielle rend les choses encore plus simples : « Il n’y a qu’à penser à l’Amazon Go. On pourrait imaginer une épicerie du futur vide de monde où la commande se passe avec le cellulaire », ajoute la chercheuse.
Dans ce marché virtuel, le consommateur pourra de plus se renseigner sur la provenance des produits, les conditions de culture, de cueillette et de distribution, la distance entre le champ et sa maison et bien d’autres choses encore. Avant de planter sa fourchette dans son légume, il prendra alors des décisions alimentaires plus éclairées en fonction de ses valeurs, des pratiques… et également de la dernière mode culinaire !