Même en prison, on a besoin d’intimité. Pour la Saint-Valentin ou les 364 autres jours de l’année, il existe heureusement des solutions pour les détenu.e.s en quête d’un peu d’affection de leurs êtres chers non incarcérés: visites avec ou sans contact, conversations par visioconférence ou visites familiales privées (VFP) lors desquelles les visiteur.euse.s peuvent passer plusieurs jours avec leur proche. Métro s’est entretenu avec une habituée de ces VFP.
Lawrence Côté-Collins, cinéaste (son film Bungalow sort en salle le 7 avril prochain), visite assez fréquemment un «Ami avec un grand A», tient-elle à préciser, incarcéré au Centre fédéral de formation de Laval, une prison à sécurité minimale. Il y est enfermé depuis 10 ans et purge une peine à vie.
Chaque huit semaines, Lawrence a le droit de passer 72 heures, donc trois nuits, avec son «Ami» en prison dans le cadre de ce qu’on appelle les VFP.
Pour avoir droit à ces visites, la visiteuse doit évidemment être en relation avec la personne et se soumettre à une enquête. «Je pourrais être de sa famille, sa femme, sa conjointe de fait ou être recommandée par l’agente de libération conditionnelle.»
À la suite d’un long processus durant lequel elle a rempli maints formulaires, notamment sur la nature de leur relation, Lawrence a obtenu l’autorisation de faire des séjours. Il faut aussi que le comportement de son partenaire détenu soit exemplaire, sinon son privilège d’intimité peut lui être retiré à tout moment.
Une maison pour la visite
«À l’époque, les gens devaient se marier pour avoir une “roulotte”. Maintenant, ce n’est plus nécessaire», explique Lawrence.
Contrairement à ce qu’on pourrait s’imaginer, ces roulottes ne sont pas qu’un lieu où aller faire l’amour. Ça peut aussi être un endroit où passer du temps avec sa famille, ses enfants, ses amis. Les personnes détenues peuvent même louer une maison de VFP pour elles seules pour s’offrir un répit de la prison.
«Les unités de visites familiales privées ont été créées afin d’encourager les détenus à créer et à maintenir des liens familiaux et communautaires en vue de leur retour éventuel dans la collectivité», indique de son côté Jean-François Mathieu, gestionnaire régional des communications du Service correctionnel du Canada.
Ces lieux où se font les VFP sont en fait de petites maisons dans l’enceinte de la prison. Au Centre fédéral de formation, ce sont cinq petites maisons sur deux étages collées les unes sur les autres. Chaque maisonnette est clôturée et possède une petite cour extérieure. Elles peuvent comporter une ou deux chambres et une aire pour la cuisine et le salon.
Un séjour planifié au quart de tour
Les visites de Lawrence doivent être bien planifiées. Au moment de faire sa valise, elle reçoit une liste «comme dans un camp de jour». Elle n’a pas le droit d’apporter plus que ce qui se trouve sur la liste. «Tout est compté et vérifié. On n’a le droit à aucun appareil électronique, même pas d’iPod pour écouter de la musique.»
À son arrivée, elle est fouillée, reniflée par des chiens. Elle laisse son cellulaire dans un casier. Elle ne pourra y toucher de tout son séjour. Ses objets personnels sont déposés dans un autre sac spécial fourni par la prison.
Avant la visite, le détenu et sa visiteuse reçoivent aussi une liste d’épicerie. Ils cochent ce qu’ils veulent acheter avec l’argent du compte du détenu. «L’épicerie, c’est cher partout, même en prison», précise Lawrence. Il n’y a pas énormément de choix, mais quand même pas mal plus qu’à l’intérieur des murs, ajoute-t-elle.
Ils ont aussi la possibilité d’acheter un appareil photo jetable au coût de 55 $. «On peut faire des photos pendant notre séjour. Les employés de la prison s’occupent de les faire développer, inspecter, trier et scanner. Ils enlèvent celles jugées inappropriées s’il y en a et donnent le reste au détenu.»
La personne détenue peut aussi louer des films en DVD au club culturel de la prison et les regarder pendant le séjour. C’est ce que font Lawrence et son ami, en plus de cuisiner, lire des livres, jouer au tarot, aux cartes, au backgammon.
Il y a aussi un bain dans la maison des VFP, un luxe absent de la prison. Lawrence apporte donc de la mousse pour bain pour que son ami puisse en profiter.
Pas de retour en arrière
Lawrence se prépare mentalement à sa visite puisqu’une fois entrée dans la maison, elle est traitée comme une prisonnière, et est donc complètement coupée du monde.
«Perdre toutes ses communications pendant trois jours, ce n’est pas simple. Si je pouvais travailler et prendre mes courriels, je resterais deux semaines, mais là…»
Plusieurs fois par jour, elle et son ami sont comptés par des gardes qui font leur ronde et «s’assurent que tout est beau». Lawrence, qui a besoin de médication pour son anxiété, doit la prendre lors du décompte. Le gardien déverrouille le casier où elle est rangée et elle doit avaler la pilule devant lui en tirant la langue. On s’assure ainsi qu’elle ne la refile pas à son ami.
«Les mouvements en prison, ça prend du personnel, c’est compliqué. Ça vient avec une escorte, des fouilles, des portes verrouillées. Juste pour me rendre à la maison, je franchis 10 portes cadenassées avec sécurité. Les employés ont autre chose à faire que de s’occuper de la fille qui pleure parce qu’elle est exaspérée. Il faut que je me gère», explique celle qui a déjà dû être évacuée d’urgence parce que son ami, qui est schizophrène, était en crise hallucinatoire et elle en attaque de panique, une opération qui a mobilisé quatre employés.
Les visites de 24 heures existent, mais, compte tenu des multiples étapes exigeantes requises, elles sont beaucoup moins communes que celles de 72 heures, lesquelles permettent de rentabiliser les efforts consentis.
Malgré les défis, Lawrence ̶ qui a passé Noël dernier avec son ami ̶ va continuer de le visiter par affection, par désir de l’accompagner dans sa sentence et parce qu’elle croit que «les gens en prison ne sont pas que le crime qu’ils ont commis».