À en croire TikTok, investir en immobilier, c’est fastoche et vous auriez donc dû y penser avant… Mais devenir propriétaire d’un ou de plusieurs logements est-il aussi simple que ça en a l’air?
Si l’expression «Cory, Cory» sonne familière, vous êtes abonné.e.s à Cory Albert, un tiktokeur et investisseur immobilier suivi par presque 70 000 personnes. À 21 ans, le Gatinois dit posséder un parc immobilier de 15 portes au total (22 depuis la mise en ligne de cet article), dont deux immeubles locatifs et un triplex. La seule aide qu’il a reçue est un prêt de 19 000$ de sa grand-mère pour son premier immeuble, qu’il a acheté à 19 ans après avoir lâché le cégep.
«J’ai utilisé le levier financier: j’ai acheté mon premier immeuble, j’ai pris l’argent d’une marge de crédit, ensuite l’immeuble a pris de la valeur, je l’ai refinancé, j’ai sorti des fonds, je les ai mis sur une autre acquisition», raconte-t-il.
Le levier financier, de quessé?
On utilise cette technique lorsqu’on s’endette pour augmenter sa capacité d’investissement et acquérir un plus grand parc immobilier. Selon la Banque du Canada (BDC), l’effet de levier est bénéfique si les revenus augmentent: on peut alors utiliser les excédents et les revenus générés pour acheter un bien supplémentaire.
C’est donc intéressant si l’immeuble acheté prend de la valeur et génère des revenus. Toutefois, si les revenus ne sont pas au rendez-vous, la valeur peut diminuer et on risque alors des retards de paiement et éventuellement une faillite.
D’après M. Cournoyer, on peut employer cette technique si notre tolérance au risque est élevée. «Avec 200 000$, on peut acheter plus gros, comme des immeubles à coup de millions. Cependant lorsque la valeur diminue, ça diminue de beaucoup», explique-t-il.
Dans tous les cas, il faut s’assurer d’avoir un bon équilibre entre les actifs, les revenus et l’endettement. Il faut avoir plus de capital (donc de revenus) que de dettes. On peut voir si le ratio est bon en effectuant un calcul de division sur notre revenu. Selon la BDC, un exemple de bon ratio d’endettement serait de 25% de dettes et de 75% en capitaux.
Aujourd’hui, l’entrepreneur prodigue des conseils sur sa chaîne TikTok: dettes, relations avec les locataires, motivation personnelle, types d’immeubles à acheter… On trouve de tout.
Cory vend même ses propres formations, dans lesquelles il explique comment réussir en immobilier. Il en fait d’ailleurs régulièrement la promotion dans ses vidéos. Et il est loin d’être le seul investisseur à connaître une popularité croissante sur le média social.
Alex Lamarre et Alexis Ledoux (alias Lamarreledoux) font partie du lot. Les deux meilleurs amis dans la vingtaine se sont lancés dans l’investissement immobilier à temps plein après avoir terminé leur secondaire en 2016.
Tout comme Cory, ils ont appris «sur le tas», sans formation. Ils ont acheté un premier duplex en 2019. Aujourd’hui, ils ont sept portes, réparties dans trois immeubles différents.
Leur secret: le porte-à-porte pour trouver des vendeurs et un budget minimal d’achat, donc une grosse dette et possiblement un gros risque, mais ils sont prêts à le prendre. Leurs vidéos encourageant les autres à investir «facilement» à leur tour ont séduit pas moins de onze mille utilisateur.trice.s et amassent des milliers de vues.
Ça attire l’œil. On ne ressemble pas à l’investisseur typique dans la quarantaine et qui travaille à temps partiel. On parle de choses qui ne sont pas abordées, comme acheter une propriété qui n’est pas à vendre.
Alex Lamarre, tiktokeur
«On tombait souvent sur des vidéos sur l’immobilier de personnes de la France et on n’était pas toujours d’accord avec ce qu’elles montraient. On s’est dit alors qu’on pourrait faire nous aussi du contenu sur l’immobilier», explique le duo.
Comme pour beaucoup de propriétaires, la hausse fulgurante de la valeur des propriétés immobilières a fait leur bonheur. On peut dire qu’ils ont investi au bon moment.
Quelques nuances
Mais leur modèle est-il viable? Même si les tiktokeur.euse.s semblent montrer qu’immobilier égale argent facile, certain.e.s expert.e.s affichent un point de vue plus nuancé.
Bien qu’il reconnaisse que le ton adopté sur TikTok est dynamique, Damien Charbonneau, le chef des opérations de nesto – une entreprise de prêts hypothécaires – met en garde les abonnés à propos de ce type de contenu. Il estime que l’information diffusée sur les réseaux sociaux ne présente souvent pas toutes les étapes un peu plus techniques d’une transaction.
«Ça accroche l’œil, mais je ne pense pas que c’est à coup de [vidéos de] 30 secondes qu’on puisse prodiguer des conseils de qualité», dit-il, sans détour.
Les courtes séquences ne permettent pas tout le temps de s’épancher sur leurs sources de financement. Est-ce papa-maman qui a fait un gros chèque? Leur salaire antérieur leur a-t-il permis d’emprunter plus facilement? Pour accumuler la mise de fonds nécessaire, se sont-ils privés de chips la semaine dernière ou de voyages toute leur vie? Il peut manquer des facteurs expliquant le secret derrière leur succès, leurs privilèges initiaux, notamment.
En outre, d’après Yvan Cournoyer, président du Club d’investisseurs immobiliers du Québec (CIQ), la plupart des tiktokeur.euse.s n’ont pas suffisamment d’expérience pour conseiller adéquatement les futur.e.s propriétaires. Il estime que le fait de n’avoir que 15 portes n’est pas assez pour devenir formateur ou expert. Les bons coachs devraient plutôt en avoir au moins 200 à 500 à leur actif.
«Ce n’est pas un seul coaching non plus qui fait de toi un expert en immobilier. Il faut regarder depuis combien de temps la personne est dans le milieu», explique-t-il.
La CIQ refuse régulièrement des gens n’ayant que deux ou trois ans d’expérience qui souhaitent devenir formateurs au club. Il avertit également que l’investissement immobilier n’est pas pour tout le monde. «Si c’était un free game, tout le monde le ferait et tout le monde serait riche. Il faut faire attention à ceux qui disent que l’immobilier, c’est facile; c’est un drapeau rouge.»
Aider les autres
Bien entendu, TikTok intéresse aussi beaucoup les courtier.ère.s immobilier.ère.s. C’est le cas de Félix Clément, courtier chez Remax à Blainville, qui a commencé à faire des vidéos à l’été 2021.
«C’est important [de faire des vidéos] pour monsieur et madame Tout-le-Monde qui se posent des questions banales. Ça en éclaire pas mal [qui se posent la même question]», dit-il pour expliquer sa participation active sur le réseau.
Avant de faire ses classes comme courtier, Félix a acheté un quadruplex à 23 ans avec une marge de crédit de deux banques différentes. Un autre duplex a suivi deux mois plus tard. Il avait donc une certaine expérience.
Martine Demers, courtière immobilière chez Via Capitale dans Lanaudière, partage, elle aussi, cette envie d’aider les propriétaires et futur.e.s acheteur.euse.s.
Sourire aux lèvres à chaque vidéo, elle présente ses propriétés tout en nous donnant quelques trucs et astuces pratiques pour acheter. Un contenu vulgarisé véhiculé de façon authentique et accessible qui lui a valu quelque 47 000 abonné.e.s sur TikTok.
«Je pense que mon contenu pogne, parce que c’est le rêve des gens d’avoir [une propriété]», dit-elle.
Mais il n’y a pas que son ton familier qui est accrocheur. Ses prouesses alléguées aussi. Dans l’une de ses vidéos les plus populaires, elle nous explique comment posséder près de 1,5 million en avoirs immobiliers avec un investissement de 15 000 $.
Un chiffre étonnant, n’est-ce pas? Elle ne s’épanche cependant pas sur le fait qu’elle a profité d’un contexte immobilier exceptionnel, soit un bond de la valeur des propriétés inégalé ces dernières années.
Comme le dit Damien Charbonneau, cité plus haut dans ce texte, le format TikTok ne permet pas nécessairement d’approfondir tous les aspects.
La vigilance est de mise
Prudence avant de tout prendre pour… du cash et de croire que c’est facile, nuancent certains tiktokeur.euse.s.
«On n’est pas là pour montrer que c’est un get rich quick, dit Alex Lamarre. On a juste vraiment envie de faire des vidéos gratuites et accessibles à tout le monde.»
Même son de cloche chez Félix Clément. «Avant d’écouter quelqu’un, il faut savoir quelles sont ses compétences, insiste-t-il. Je ne donnerai jamais un conseil sur une situation à laquelle je n’ai moi-même pas été confronté.»
Son but n’est pas de se vanter en enchaînant les images de belles propriétés, mais de démontrer ce qu’il est possible de faire en immobilier. Il n’en reste pas moins que plusieurs investisseur.euse.s voient (très) grand. Cory, par exemple, souhaite utiliser ses profits pour réaliser son rêve le plus fou: vivre à Miami.
Il affirme également qu’il n’y a aucun mal à vouloir s’enrichir. Lui, en tout cas, ne s’en cache pas.