Plusieurs régions du sud du Québec ont été sous le coup de veilles d’inondations, ces derniers jours, dont Montréal et Gatineau, en raison de fortes précipitations. Il est encore trop tôt pour mesurer si ce printemps sera particulièrement propice aux inondations.
Sans trop le savoir, les contribuables canadiens sont grandement exposés aux conséquences financières de ces inondations. Leur fréquence et leur ampleur ne donnent aucun répit aux payeurs de taxes. La croissance du coût des dommages est fulgurante : lors des inondations de 2017 et 2019 au Québec, qui ont affecté respectivement 293 et 240 municipalités, le gouvernement provincial a déboursé près d’un milliard de dollars et les assureurs privés, 500 millions en indemnités. Cette croissance est largement attribuable à l’augmentation de la population dans les zones inondables.
Le cocktail devient explosif lorsqu’il est combiné aux phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les tornades et les pluies diluviennes. Un nouveau mode de partage plus équitable du coût de ces dommages pour les contribuables est nécessaire.
Candidat au doctorat en sciences de l’environnement à l’Université du Québec à Montréal, mes travaux portent sur le rôle des municipalités du Québec dans le partage du risque d’inondations. J’ai notamment piloté la création du Fonds d’assurance des municipalités du Québec, un assureur spécialisé dans la gestion et le transfert des risques municipaux.
Une cartographie vétuste et déficiente
Environ 80 % des municipalités canadiennes se sont établies au départ dans des zones inondables. Cette statistique peut s’expliquer par le développement historique des communautés le long des cours d’eau. En raison de la croissance démographique, le Bureau d’assurance du Canada estime qu’aujourd’hui, 20 % des résidences sont situées dans une zone inondable répertoriée. Le phénomène ne fait que s’amplifier.
Cependant, ce chiffre de 20 % demeure largement sous-estimé puisqu’il repose sur une cartographie des zones inondables désuète. En 2019, plus de la moitié des lots inondés au Québec étaient situés à l’extérieur des zones inondables répertoriées. Les cartes actuelles ne tiennent pas compte non plus des obstructions possibles par la glace, de la rupture de digues ou de barrages ou encore des phénomènes météorologiques extrêmes.
Le fait de concevoir de nouvelles cartes de zones inondables conduit inévitablement à un élargissement des zones à risque. Cela peut ainsi limiter le potentiel de développement d’un territoire et réduire considérablement la valeur des terrains. Dans ce contexte, certaines municipalités font preuve d’aveuglement volontaire.
L’opposition du monde municipal à l’ajout de nouvelles zones inondables par le gouvernement du Québec démontre à quel point la cartographie du risque d’inondations est un enjeu politique.
L’aménagement du territoire : source de conflits d’intérêts
Toutefois, les déficiences en matière de cartographie n’expliquent pas à elles seules l’augmentation de la population dans les zones inondables.
Les municipalités jouissent d’une grande discrétion en matière d’aménagement du territoire. Elles deviennent les arbitres de la réduction du risque d’inondations, des avantages économiques et du bien-être individuel d’une minorité de la population.
Ainsi, un conflit d’intérêts survient lorsqu’une municipalité priorise le développement immobilier sur son territoire au détriment du risque d’inondations. Toutefois, cette responsabilité d’occupation des zones inondables est partagée avec les individus. En effet, ce même conflit d’intérêts existe lorsqu’un citoyen ou une citoyenne occupe une zone inondable sachant que les programmes d’aide gouvernementaux viendront l’indemniser en cas d’inondations.
Les solutions proposées
L’ampleur des dommages lors des inondations de 2017 et de 2019 au Québec a ravivé le débat quant à qui incombe la responsabilité de payer pour ces catastrophes successives, et de la mise en œuvre des mesures de réduction du risque d’inondations.
La situation est telle que la pérennité des divers programmes gouvernementaux d’aide post-catastrophe est remise en question. Dans le régime actuel, le gouvernement fédéral assume plus de 70 % de la facture lors de catastrophes majeures par le biais des Accords d’aide financière en cas de catastrophe (AAFCC). Le tiers restant est déboursé par la province et, dans une moindre mesure, par les assureurs privés. Ainsi, l’ensemble des contribuables participe au financement des indemnités à répétition qui sont versées à une minorité grandissante de sinistrés.
En réaction, le ministère de la Sécurité publique du Canada a annoncé la création d’un programme national d’assurance pour les résidences situées dans les zones à haut risque. L’objectif de ce programme est de réduire le coût des AAFCC et de faire contribuer directement les résidents et résidentes des zones inondables.
Pour sa part, le gouvernement du Québec a récemment réduit les indemnités prévues à son Programme général d’indemnisation et d’aide financière lors de sinistres réels ou imminents. Cette nouvelle version impose une limite à vie aux victimes d’inondations et vise à les décourager à reconstruire dans les zones inondables. Quant aux assureurs privés, ils n’offrent que des protections partielles pour les résidences dans les zones à faible risque et demeurent absents des zones à haut risque.
De nouvelles perspectives
Ainsi, les individus qui occupent des zones inondables assumeront une plus grande partie du risque financier.
Même si ces initiatives sont un pas dans la bonne direction, freiner la croissance de la population dans ces zones ne peut reposer que sur une contribution financière additionnelle de quelques individus qui occupent des zones à haut risque.
Les municipalités offrent peu d’incitatifs à réduire le risque d’inondations puisqu’elles ne participent pas aux indemnités lors de catastrophes. Ainsi, les faire participer dans le financement du coût des dommages aux résidences situées sur leurs territoires pourrait constituer un incitatif à freiner la croissance de la population dans les zones inondables. Cela aurait pour effet de réduire l’exposition financière des contribuables, et ainsi rendre plus équitable le partage du risque financier lié aux inondations.
Bernard Deschamps, PhD Student in Environmental Sciences, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.