Le fléché: une tradition canadienne-française
PATRIMOINE. Ce n’est pas qu’un simple ouvrage tissé que la flécherande Yvette Michelin voulait transmettre aux visiteurs des Fêtes de la Nouvelle-France, mais bien un art bien de chez nous.
Photo TC Media – Prisca Benoit
Pendant quatre jours, dans son kiosque au parc de la Cetière, dans le Vieux-Québec, Yvette Michelin s’est assise, avec ses fils et sa brique, pour tisser quelques ouvrages. Sur sa table, différents motifs se côtoient: celui en pointe du chevron et, celui plus coloré, plus élaboré, du fléché. «Je veux vraiment que les visiteurs fassent la différence entre les deux, parce que ce n’est pas la même technique», insiste la dame.
La septuagénaire est bien claire: l’art du fléché n’est pas né en Nouvelle-France. «C’est arrivé plus tard, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, après la conquête des Anglais.» Même si son origine exacte demeure inconnue, Mme Michelin a sa petite idée de qui en a été l’inventeur. «Je crois que ce sont les religieuses, soutient-elle. C’était des femmes très discrètes, qui faisaient tout en communauté. Je crois que c’est pour ça qu’il n’y a pas de nom d’inventeur.»
À l’époque, on utilisait la ceinture fléchée pour fermer les manteaux. C’était particulièrement utile l’hiver, en raquette, lorsqu’il devait faire de grandes enjambées. «Avec la ceinture, le haut du corps restait au chaud, parce que le vent ne passait pas sous l’habit.» Les Canadiens Français auraient pu utiliser un simple cordon, «mais nos ancêtres étaient fiers», estime Mme Michelin.
Avant cela, lorsque les colons se sont installés en Nouvelle-France, ils avaient l’habitude d’utiliser quelques accessoires tissés, comme des portes-jarretières qui servaient à faire tenir les bas, mais c’était la technique du chevron qu’on utilisait. Du côté des peuples autochtones, on tressait certains accessoires, comme des tapis, mais les vêtements se composaient principalement de peaux de fourrures. C’est seulement lorsque la Compagnie de la Baie d’Hudson a commencé à commercialiser la ceinture fléchée que cet accessoire s’est répandu parmi les Premières nations.
Pourquoi avoir participé aux Fêtes de la Nouvelle-France dans ce cas, si la ceinture fléchée n’est arrivée que plus tard? «J’aime participer à ce qui montre notre différence», résume-t-elle. Elle le répète: la technique du fléché est unique aux Canadiens français, «elle n’existe nulle part ailleurs», déclare-t-elle, un brin de fierté dans la voix.
De mère en fille
Si Yvette Michelin tisse au doigt le fléché depuis près de 50 ans, c’est que sa propre mère lui avait appris lorsqu’elle était une jeune femme. «J’avais participé à mon premier carnaval, qui était aussi la première édition, et j’avais acheté une ceinture fléchée du commerce, raconte-t-elle. Quand je suis rentrée à la maison, ma mère m’a dit qu’elle avait pris à tisser le fléché avec les Ursulines, en 1910.»
Depuis, Mme Michelin continue de propager son art. Elle a notamment sorti un livre, en 2015, sur l’histoire du fléché et ses techniques. Elle donne aussi des cours à la Maison Routhier – Centre d’arts textiles, question d’enseigner son savoir aux prochaines générations.