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Infiltration: des églises de Montréal font des thérapies de conversion illégales

Des fidèles dans une église.
Photo: Istock/middelveld
Zoé Arcand - Quentin Dufranne

ENQUÊTE – Des églises offrent des thérapies de conversion pour les personnes LGBTQ+ à Montréal, un an après l’adoption de la loi canadienne les interdisant. Des journalistes de Métro ont enquêté sur ces églises en prétendant vouloir changer d’orientation sexuelle et ont obtenu l’une de ces thérapies qui s’apparentent à un exorcisme.

À l’église du Ministère de Délivrance pour la Gloire de Jésus-Christ, dans Ahuntsic-Cartierville, une journaliste de Métro dissimulant son identité a assisté trois fois à la messe du dimanche et a pu discuter avec le prophète Jean-Marie N’Guessan et la prophétesse Laurence N’Guessan de son mal-être.

Lorsque la journaliste leur a parlé de son attirance pour des personnes de même sexe, Mme N’Guessan lui a demandé comment elle se sentait par rapport à cela. La journaliste exprimant un malaise lié à cette attirance, les représentants religieux lui ont alors parlé d’une pratique qu’ils appellent la «délivrance». Celle-ci consiste à prier pour que «l’esprit» accablant une personne homosexuelle quitte son corps. Les prêcheurs ont évoqué un «esprit de l’impureté sexuelle» et un «esprit du lesbianisme».

Faire des rêves saphiques signifierait que cet esprit se trouve dans le corps d’une croyante, lui a-t-on expliqué.

Un rendez-vous a été fixé pour la délivrance, réalisée à huis clos avec M. N’Guessan. Celui-ci a insisté pour que la rencontre reste secrète, puisqu’il pourrait avoir «des ennuis».

Le pasteur a expliqué le déroulement du rituel: «Pour les problèmes de lesbienne […], on va prier, puis si tu commences à ressentir [de l’attirance envers les femmes] encore, tu viens nous voir et on va continuer.»

La délivrance a duré une vingtaine de minutes, au cours desquelles le pasteur a tenu la jeune femme par les épaules en ordonnant près de son oreille à cet «esprit sexuel, esprit d’impureté sexuelle, esprit du lesbianisme» de quitter son corps. Il a ordonné à l’esprit de «rompre les liens de sang, les liens de noms, les liens familiaux, les liens spirituels» rattachant la jeune femme à sa famille, qui lui aurait transmis l’homosexualité.

À un moment, le prophète a crié aux «esprits diaboliques, maléfiques, sataniques» de cesser de «s’attaquer à la vie» de la jeune femme.

Feu, sortez au nom de Jésus-Christ!

Jean-Marie N’Guessan, du Ministère de Délivrance pour la Gloire de Jésus-Christ

«Dieu est tombé sur toi comme une colombe», a-t-il murmuré quand il a jugé être parvenu à évacuer l’esprit du corps de la femme.

Le prophète lui a recommandé de cesser de fréquenter des personnes ressentant les mêmes attirances.

«Dieu délivre encore aujourd’hui»

Un autre journaliste a approché l’église Mission chrétienne intergénérationnelle Canada (MCI Canada), dans Hochelaga. Cette église fait salle comble lors de ses messes du dimanche. Elle regrouperait plusieurs milliers de membres. 

Lors de la messe, l’ambiance est joviale et un équipement audiovisuel important permet de diffuser la cérémonie sur Internet. Dans une petite piscine au fond de la salle, de nouveaux fidèles sont baptisés sous les acclamations pendant la cérémonie. Les chants de centaines de fidèles, les mains au ciel, accompagnent le prêche du nouveau pasteur senior Benjamin Carbone, qui a récemment hérité de son père Alberto Carbone des rênes de l’église. 

Après avoir assisté à ces cérémonies, le journaliste de Métro prétendant être un croyant a approché le pasteur Benjamin Carbone et sa femme Maria. Il leur a dit avoir besoin de parler avec quelqu’un d’un malaise personnel. Ils l’ont alors dirigé vers l’équipe de soins pastoraux de l’église. 

Un bénévole de l’équipe de soins pastoraux, Gilles Labelle, a contacté le jeune homme pour lui proposer un accompagnement. 

Quand le jeune homme lui a expliqué vouloir changer son orientation sexuelle, M. Labelle lui a assuré que c’était possible. «Nous, on croit que Dieu délivre encore aujourd’hui. On croit à ça. C’est sûr que la prière va faire beaucoup de choses», lui a dit M. Labelle. «On en a déjà vu, à l’église, et des personnes ont été délivrées.»

«On va cheminer avec la personne là-dedans», a-t-il expliqué. «Si vous me dites à moi que vous voulez être délivré et que vous ne voulez plus avoir ça dans votre vie, et que vous avez la foi que Dieu est la personne qui va pouvoir vous aider, c’est sûr que oui, il y a des choses qui peuvent se produire.»

M. Labelle a ensuite proposé d’organiser une rencontre lors de laquelle un suivi serait effectué, lequel permettrait au jeune d’homme d’avoir accès à d’autres ressources.

Des «groupes de soutien» à travers le Canada

Pour évaluer avec quelle facilité ou non il est possible d’obtenir une thérapie de conversion, Métro a aussi contacté par téléphone plusieurs églises montréalaises. Un journaliste a prétendu vouloir aider son petit frère à changer d’orientation sexuelle.  

Alors que certaines églises ont raccroché au nez du jeune homme ou lui ont expliqué qu’il n’était pas possible de changer d’orientation sexuelle, l’église chinoise baptiste de Montréal a donné suite à la requête. 

«Si ton frère veut vraiment être libéré de ça, Jésus peut l’aider à s’en libérer», a affirmé le pasteur de l’église, Karl DeSouza. Je ne veux pas lui garantir qu’il va y arriver, car il peut se décourager, mais il y a toujours une possibilité. Pas seulement une possibilité, mais c’est une réalité. Avec Jésus, tout est possible.»

Le pasteur a proposé de mettre le jeune homme en contact avec des groupes de soutien situés à différents endroits au Canada, dont certains à Montréal. Ces groupes seraient composés de «frères et sœurs chrétiens» qui sont «aux prises avec l’homosexualité» et qui pourraient témoigner de la façon dont ils «surmontent cela». 

«Vous n’êtes pas seul», lui a-t-il assuré. «Une fois que j’aurai pris contact avec ces gens, ils me mettront dans le réseau où ils me donneront d’autres contacts.»

À lire aussi: des thérapies de conversion «made in USA» pour les personnes LGBTQ+ du Québec

Les églises répliquent

Finalement contactées à visage découvert par Métro, toutes les églises concernées ont donné leur version des faits quant aux services qu’elles proposent. 

Le Ministère de Délivrance pour la Gloire de Jésus-Christ a expliqué ne pas avoir eu connaissance des lois interdisant ce type de pratique. Ils déplorent même un manque de sensibilisation de la part des autorités auprès des églises quant aux mises à jour apportées à la loi. 

Le pasteur Benjamin Carbone de l’église MCI Canada affirme de son côté que son église ne pratique pas de thérapies de conversion et qu’ils ne prient pas pour le changement de l’orientation sexuelle. Selon lui, son église se contente «d’accompagner les personnes en prière dans leur foi pour qu’elles s’approchent de Dieu». 

Pour ce qui est des personnes au sein de MCI Canada qui se seraient libérées de l’homosexualité, Benjamin Carbone soutient ne pas connaître ces personnes et affirme que dans l’éventualité où elles existeraient, elles l’auraient fait dans le cadre de «leur cheminement dans la foi».

Le pasteur DeSouza de l’église chinoise baptiste de Montréal nie quant à lui l’existence de groupes de soutien et dit n’avoir voulu qu’aider et ne pas avoir forcé quiconque à changer son orientation sexuelle.

Une source d’un organisme chrétien dénonce les thérapies

Au cours de cette enquête, une personne impliquée dans une organisation chrétienne de Montréal est entrée en contact avec Métro, demandant à témoigner sous le couvert de l’anonymat. Cette personne a fait suivre à la rédaction un courriel du pasteur Joshua Lee, de l’église Lakeside Heights Baptist, mettant en garde les églises contre l’enquête journalistique en cours.

Ce courriel aurait été envoyé «à pas moins de 100 églises», évalue la source, qui assure à Métro que des églises montréalaises font bel et bien des thérapies de conversion. 

Ce qu’on voit aux États-Unis, ça m’étonnerait vraiment qu’on voie la même chose à Montréal: ici, ça se fait d’une manière plus organique. Plus en secret.

Source anonyme au sein d’un organisme religieux

«Dans la communauté religieuse, on est une bonne gang à avoir une écoeurantite aiguë de l’homophobie», dit cette personne.

Contacté par Métro, le pasteur Joshua Lee a défendu son droit d’exercer ses croyances. Selon lui, un pasteur approché par quelqu’un désirant de l’aide se doit de lui venir en soutien.

Pour la source anonyme qui a contacté Métro la loi semble être «mal comprise par plusieurs leaders» religieux. 

«C’est quand même très clairement stipulé dans la charte des droits canadienne que les gens ont droit à leurs propres croyances, dit-elle. Mais ils veulent jouer la carte de « on est en train de se faire opprimé dans nos croyances». Ils veulent jouer un peu la victime.»

Une enquête menée par le Community-Based Research Center (CBRC), a démontré que l’exposition aux thérapies de conversion est liée à des conséquences négatives sur le plan psychosocial tel que la solitude, la consommation régulière de drogues illicites, mais aussi des idées suicidaires et des tentatives de suicide.

Ce que dit la loi

Québec a adopté un projet de loi visant à protéger les personnes contre les «thérapies de conversion» en 2020. Le fédéral a emboîté le pas un an plus tard en modifiant le Code criminel pour interdire ce type de pratique. Les «thérapies de conversion» sont décrites par la loi québécoise comme «tout service ou tout traitement de nature spirituelle ou non ayant pour but d’amener une personne à changer son orientation sexuelle, son identité de genre ou son expression de genre ou encore à réprimer les comportements sexuels non hétérosexuels». 

La loi prévoit que nul ne peut s’engager à dispenser à une personne une thérapie de conversion ni faire la promotion de ces pratiques. Toute personne allant à l’encontre de cette loi est passible d’amendes allant de 5000 $ à 150 000 $. Le Code criminel canadien prévoit quant à lui une peine allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement.

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