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Pour pallier la pénurie de main-d’œuvre, il faut retenir les professionnels plus âgés en emploi

Bien des professionnels plus âgés souhaitent demeurer en emploi plus longtemps. Mais à certaines conditions.

Sylvie St-Onge - HEC Montréal - La Conversation

ANALYSE – Le secteur de la finance et des assurances est confronté à d’énormes pressions, dont celui de la pénurie de main-d’œuvre qui touche aussi d’autres secteurs d’activité au Québec.

Or, une partie de cette main-d’œuvre quitte leur emploi parfois à contrecœur, n’ayant guère d’autres options : les professionnels plus âgés, qui ont le sentiment que leurs besoins ne sont pas comblés par leurs gestionnaires.

Comme chercheurs en management, les incidences du vieillissement de la population sur les pratiques de gestion des ressources humaines s’avèrent cruciales à investiguer. Ma collègue Marie-Ève Beauchamp-Legault et moi-même avons mené une étude par entrevues auprès de 19 professionnels âgés entre 51 et 62 ans du secteur de la finance afin de comprendre ce qui les motive à rester en emploi plus longtemps, ou les démotive à le faire.

On sait qu’une meilleure rétention sur le marché du travail des travailleurs plus âgés figure parmi les solutions pour atténuer la pénurie actuelle de main-d’œuvre. Mais comment faire ? Nos résultats confirment l’importance de satisfaire leurs besoins de compétences, d’autonomie et de relations ainsi que celui de bienfaisance.

Répondre aux besoins d’autonomie

Nos résultats montrent que les professionnels âgés ont besoin d’accommodements personnalisés tant sur le plan du contenu du travail (charge, rythmes, tâches) que des horaires et du temps de travail (exemption des heures supplémentaires ou des quarts de nuit, congés supplémentaires, travail partagé, horaire flexible, temps partiel).

On peut penser ici que le travail entièrement ou partiellement à distance, très fréquent dans cette industrie, devrait favoriser le prolongement de la vie active des professionnels âgés. Évidemment, ces derniers doivent pouvoir bénéficier de ces pratiques sur une base volontaire pour satisfaire leur besoin d’autonomie. Si ces pratiques sont imposées, elles peuvent précipiter leur départ.

Voici quelques extraits à ces sujets, provenant de nos interviewés, hommes et femmes, âgés entre 51 ans et 62 ans.

D’ici un an, je vais ralentir ou arrêter parce qu’il est clair que je ne veux pas continuer à 110 %. J’aimerais avoir la possibilité de travailler à distance, de ne pas être obligé d’être physiquement au bureau. Si l’organisation n’est pas en mesure de répondre à ce besoin-là, je devrai trouver une réponse à l’extérieur de l’organisation.

Un élément important pour la rétention en emploi, c’est la conciliation travail-famille. Les jeunes cherchent une flexibilité parce que l’enfant est à la garderie, puis à l’école. Pour les personnes plus âgées, leur conciliation travail-famille, c’est quelquefois avec un conjoint plus âgé qui est malade et qui a besoin d’attention.

J’ai un nouvel emploi depuis l’an passé qui est peu moins accaparant. Avant, je travaillais six jours par semaine. On m’a offert un emploi moins exigeant […] mais j’ai encore un défi intéressant et j’apprends encore.

J’ai demandé ouvertement de ralentir un an avant. […] j’ai demandé de ralentir, de diminuer mes responsabilités. J’ai demandé de me faire travailler à temps partiel, mais ils n’ont pas voulu. Je suis partie.

Comme on sait que les employés plus âgés peuvent aussi continuer à travailler par nécessité financière, il importe de leur offrir une rémunération suffisante en reclassant leurs postes, en leur octroyant des primes, des congés plus nombreux ou plus long, des prestations d’assurance maladie ou d’autres avantages (conseils financiers ou de retraite, centres sportifs).

Il importe aussi de revoir les modalités de retraite (retraite progressive ou différée) ou la possibilité de continuer à travailler après l’âge de la retraite (prestations de transition supplémentaires, pensions accrues).

Répondre aux besoins de compétences

Comme le manque de compétences peut inciter les professionnels âgés à prendre une retraite anticipée, il importe d’investir dans leur perfectionnement, de leur offrir des défis ainsi que des promotions afin de signaler la valeur de leurs contributions.

On peut alors penser à revoir le contenu de leur travail de manière à ce qu’ils puissent maintenir ou améliorer leurs compétences au cours d’une deuxième carrière, des transferts, des affectations particulières comme la consultation, le mentorat ou l’encadrement de jeunes recrues.

J’ai la chance de pouvoir bénéficier de formations. J’essaie de me tenir informée justement pour ne pas me sentir dépassée.

Il y a beaucoup de personnes qui ont quitté trop rapidement l’organisation. Ils n’ont pas eu le temps de transmettre ce qu’ils savaient […]. Un plus grand transfert des compétences du personnel âgé qui ont une valeur pour l’organisation favoriserait leur implication et leur rétention.

Répondre aux besoins de relation des travailleurs âgés

Malgré l’absence de preuves empiriques, les stéréotypes négatifs à l’égard des travailleurs âgés peuvent persister (ils sont moins compétents, résistent au changement, ont moins de capacité d’apprendre) et les inciter à prendre leur retraite.

Selon certains participants, les professionnels de la finance sont susceptibles d’être considérés comme « vieux » plus tôt que ceux d’autres secteurs. Confronté à d’importants changements technologiques, le secteur des services financiers pourrait être plus vulnérable à l’âgisme, à la discrimination liée à l’âge et à la stigmatisation. Il importe de veiller à déployer une culture et un climat de travail où les contributions des employés plus âgés sont respectées et valorisées.

Il faut savoir utiliser leur savoir pour les inciter à rester plus longtemps au travail. Il faut mêler les générations. Sinon, le travailleur âgé finit par décrocher un peu. Il ne se retrouve pas comme tout ce qu’il a mis en place n’est plus pareil.

Répondre aux besoins de se sentir utile

Les participants à notre étude expriment également ressentir un besoin de bienfaisance, c’est-à-dire de se sentir utile et de faire une différence en mettant leurs expériences, compétences et temps aux services des autres. Il importe alors de faire en sorte que le travail des employés âgés ait un sens ou soit significatif à leurs yeux.

Pour moi, ce qui m’incite à poursuivre, c’est de me rendre utile, de servir à quelque chose.

Rendu à un certain âge, la chose la plus importante, c’est de se sentir utile pour la société. C’est ce qui m’incite à continuer à travailler.

À la recherche de nouvelles solutions

Cette étude n’est pas sans certaines limites. Nos participants sont tous des professionnels âgés du secteur canadien des services financiers, de sorte que les résultats ne peuvent pas être généralisés à l’ensemble des secteurs. De plus, les comportements des employés âgés dépendent de mesures gouvernementales qui ne sont pas sous le contrôle des employeurs, ni celui des employés.

Des mesures fiscales doivent aussi encourager, du moins ne pas décourager, l’extension de la vie professionnelle. De plus, il est possible que nos participants minimisent ou sous-estiment l’importance de facteurs hors de leur contrôle et de celui de leur employeur, qui peuvent les inciter à prendre une retraite ou encore, à aller travailler ailleurs ou à leur compte. Pensons, par exemple, aux problèmes de santé d’un ou d’une proche, une fusion, une restructuration ou un licenciement massif.

Les employeurs doivent trouver de nouvelles solutions à leur problème de pénurie de main-d’œuvre et répondre aux travailleurs âgés en bonne santé qui souhaitent continuer à travailler. Les employés âgés veulent plus qu’une relation économique. Il importe de considérer leurs besoins afin de les retenir sur le marché de l’emploi plus longtemps pour le bénéfice de tous : les employés, les employeurs et la société.

Sylvie St-Onge, Professeur titulaire de Management et GRH/ Ph. D., ASC, CRHA Distinction Fellow et Chercheuse Fellow à CIRANO, HEC Montréal

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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