MÉMOIRE. Le temps a passé depuis la fusillade ayant fauché six vies et blessé gravement six autres fidèles à la grande mosquée de Québec, le 29 janvier 2017. Les manifestations citoyennes de solidarité, l’aménagement d’un mémorial et l’inscription de cette date à titre de Journée nationale contre l’islamophobie ont contribué à apaiser les craintes et l’incompréhension. Néanmoins, la douleur d’avoir perdu des êtres chers et, avec eux, une partie de notre innocence collective demeure persistante.
C’est d’ailleurs à la demande des familles des victimes que le Centre culturel islamique de Québec (CCIQ) continue de tenir une commémoration du drame chaque année. «Elles ne veulent pas que les disparus soient oubliés. Le choc de leur perte a été fort et cette requête l’est tout autant. Cela représente un grand réconfort de savoir la population de la région avec elles et derrière elles», explique Boufeldja Benabdallah, responsable du comité organisateur de la commémoration.
Graduellement, la communauté musulmane de la capitale rebâtit sa confiance et reprend son rythme de vie. Mais, le traumatisme reste bien présent. Pendant longtemps, plusieurs fidèles ont refusé de revenir sur les lieux de l’attaque meurtrière. «Ça fait cinq ans et c’est comme si c’était hier, témoigne en retenant ses larmes le survivant Saïd Akjour. Je vois la place de prière de chacun de nos frères assassinés. Maintenant, je me sens plus fort et je suis heureux de vivre à Québec. C’est une grande fierté d’honorer leur mémoire.»
Commémoration à distance
Pandémie oblige, les ambitions du comité citoyen «29 janvier, je me souviens» ont été contrecarrées pour bien marquer le 5e anniversaire de la tuerie. L’activité prend donc la forme d’une vigie à la chandelle à l’extérieur du CCIQ. Le tout débute à 18h samedi, en présence uniquement des dignitaires, des politiciens et des médias.
«Le soutien du public doit se faire à distance, par le biais de la retransmission en direct en ligne, pour respecter les consignes sanitaires. Il s’agit tout de même d’une année particulière et nous désirons maintenir l’élan de solidarité en soutien à cette communauté durement éprouvée. En plus du devoir de mémoire, la commémoration se veut une occasion de favoriser la réflexion sur le vivre-ensemble», précisent les porte-parole Maryam Bessiri et Sébastien Bouchard.
- Lien pour la diffusion en français: https://www.facebook.com/events/1745971699103666?ref=newsfeed
- Lien pour la diffusion en anglais (traduction simultanée): https://www.youtube.com/channel/UCP6jyWtl7mM5JEkXY0WciUg
Travail à faire
De l’avis de M. Benabdallah, au fil du temps les choses se replacent. Il sent même une plus grande curiosité envers l’autre et une ouverture sur la différence. C’est de cette façon qu’une société se bonifie de toutes ses composantes. «Toutefois, ajoute-t-il, malgré toutes les bonnes intentions, cinq ans plus tard, les veuves sont toujours seules et leurs enfants sont toujours orphelins. On doit penser et agir pour leur bien-être. Au-delà de la multiplication des actions communautaires qui font du bien, il faut passer de la parole aux actes en matière de législation.»
Une attente qui réfère directement aux décisions gouvernementales en matière de législation sur le contrôle des armes à feu. Cosignataire d’une lettre transmise aux premiers ministres du Canada, Justin Trudeau, et du Québec, François Legault, il reconnaît qu’un bout de chemin a été fait pour limiter la circulation des armes d’assaut. «Il reste un deuxième round à mener, insiste M. Benabdallah. C’est celui de limiter l’accès aux armes de poing. Il y a cinq ans, le tueur est entré ici avec un révolver de type Glock à chargeur de 10 balles. Il a eu le temps de recharger cinq fois et de tirer 48 balles (l’arme s’est alors enrayée), ce qui a fait de lourds dommages en à peine quelques minutes.»
Ébranlée à la suite de la fusillade dans son lieu de culte qui se veut un refuge de paix, la communauté musulmane a dû surmonter des craintes persistantes pendant longtemps. Plusieurs fidèles ne voulaient plus y remettre les pieds et ceux qui se sont laissé convaincre s’inquiétaient au moindre bruit inhabituel. «Nous avons traversé cette longue période d’incertitude et pour y parvenir, nous avons mis le paquet. La mosquée a été rénovée et agrandie, des caméras de sécurité ont été installées, les fenêtres ont été givrées et les portes aimantées permettent de contrôler l’accès. C’est quand même dommage de devoir se barricader pour sécuriser notre monde. Ce n’est rien pour contribuer au retour de la confiance», conclut le responsable du comité organisateur de la commémoration.