ENQUÊTE. La légalisation du cannabis a fêté son premier anniversaire en octobre dernier. La catastrophe annoncée par les opposants à sa légalisation n’a pas eu lieu: il n’y a pas eu de hausse de fréquentation dans les centres de traitement en dépendance questionnés. En revanche, les discours de normalisation sont beaucoup plus nombreux.
«Dans notre questionnaire d’entrée, on demande à notre clientèle si elle consomme du cannabis. La plupart le banalise en disant «oui, j’en consomme, mais c’est légal alors ce n’est pas grave», indique Jacky Simard, coordonnateur aux admissions et aux communications au centre Casa situé à Saint-Augustin.
M. Simard mentionne que les personnes qui fréquentent Casa sont en majorité aux prises avec des dépendances multiples. Il estime que seulement deux ou trois personnes sur 30 ont une problématique liée uniquement à la consommation de cannabis. «Je m’attendais à ce qu’il y ait un changement, une hausse avec la légalisation. Mais il n’y en a pas. Selon nos chiffres, ça ne crée pas de nouveaux consommateurs», explique M. Simard.
Le centre La Vigile de Québec a pu remarquer une hausse de la quantité de cannabis consommé, mais pas d’augmentation des dépendances. Sa directrice générale Geneviève Arguin déplore également une banalisation depuis la légalisation.
Même son de cloche du côté de David Laplante, directeur général du centre Le Grand Chemin. «Ce que ça change, c’est vraiment au niveau de l’acceptabilité», soutient-il. «Dans les prochaines années, l’âge de la problématique pourrait baisser et cela pourrait rajeunir la clientèle», anticipe-t-il cependant en raison de la facilité accrue à s’en procurer auprès d’un grand frère ou d’un parent pour une première expérimentation depuis la légalisation.
Ayant comme clientèle des adolescents, David Laplante veut rappeler que le cannabis est la première substance la plus consommée par les jeunes, suivie de très loin par l’alcool et les amphétamines. «Je ne veux pas qu’on minimise l’impact de la consommation de cannabis». Il rappelle que celui-ci ne devrait pas être pris par les adolescents, à cause de l’immaturité de leur cerveau.
Cependant, au Grand Chemin comme chez CASA, la prise en charge de consommation abusive ne se fait pas selon la substance. C’est plutôt un ensemble d’éléments bio-psychosociaux qui sont pris en considération. «On regarde les facteurs sous-jacents à la consommation. On regarde quel besoin elle remplit, comment modifier des comportements et gérer ses émotions. Ce sont tous des consommateurs abusifs qui viennent et ils n’ont pas de grande dépendance à une seule substance», explique M. Laplante.
Adultes en exemple
La banalisation est à prendre au sérieux depuis la légalisation, surtout auprès des jeunes puisque les adultes se cachent moins pour en consommer. «Les jeunes demandent: si mon oncle peut en prendre, pourquoi moi je ne pourrais pas? Ils pensent aussi que comme c’est naturel, ça n’est pas dommageable. On doit travailler un peu plus fort pour faire comprendre à un jeune que ce n’est pas parce que c’est légal ou pas qu’il a problème de dépendance», explique David Laplante. Pour diminuer ces discours de normalisation et de banalisation, les responsables des centres prennent en exemple l’alcool, également légal, mais qui peut créer des dépendances.
Rappelons que l’Enquête québécoise sur le cannabis (EQC) réalisée en 2018 révélait qu’«Avant sa légalisation à des fins non médicales, le cannabis était la substance illégale la plus consommée au Canada (Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation de la marijuana, 2016)».
Faits saillants sur le cannabis
-Près de 48 % des Québécois de 15 ans et plus ont consommé du cannabis au cours de leur vie, les hommes en plus grande proportion que les femmes (53% c. 42%).
-Les principales raisons évoquées pour avoir consommé du cannabis dans les 12 mois précédant l’enquête sont : relaxer ou se détendre (83%), se sentir «buzzé» ou sur un «high» (53%), et aider à dormir (44%).
-Plus du quart des personnes de 15 ans et plus ayant consommé du cannabis au cours des 12 mois précédant l’enquête ont indiqué l’avoir fait pour traiter un problème de santé ou soulager des symptômes.
-La moitié des Québécois de 15 ans et plus estiment que la consommation occasionnelle de cannabis est acceptable socialement. Cette proportion est semblable à celle relative à la consommation de tabac, mais grandement inférieure à celle concernant l’acceptabilité de la consommation d’alcool, qui est la substance la plus acceptée (9 personnes sur 10).
-Une majorité de Québécois (les deux tiers environ) estiment que le cannabis a des effets positifs sur l’humeur, la créativité et la gêne ou les inhibitions. À l’opposé, 80% d’entre eux pensent que la consommation de cannabis a des effets négatifs sur la mémoire, la capacité à se concentrer, l’attention et la prise de décisions.
(Source: Enquête québécoise sur le cannabis (EQC), réalisée par l’Institut sur la statistique du Québec)