Environnement

Les forêts boréales nord-américaines brûlent beaucoup, mais moins qu’il y a 150 ans

Victor Danneyrolles, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC); Raphaël Chavardès, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) et Yves Bergeron, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) - La Conversation

Les conditions météorologiques anormalement chaudes et sèches de ce début de mois de mai 2023 ont engendré des dizaines de départ de feux de forêt dans l’Ouest canadien. Dès le 6 mai, le gouvernement albertain déclarait l’état d’urgence. Et, au moment d’écrire cet article, près de 30 000 personnes ont dû être évacuées. Bien qu’il soit trop tôt pour établir un bilan précis de cet épisode extrême, des recherches récentes nous permettent de le replacer contexte plus large.

Dans les forêts boréales Nord-américaines, plusieurs millions d’hectares peuvent partir en fumée en une seule année. En contrepartie, ces feux de forêt peuvent paraître presque négligeables pendant plusieurs années consécutives. Depuis le début des années 1960, la tendance générale est à la hausse, vraisemblablement en raison des changements climatiques. Du moins, en partie.

Cependant, il est important de prendre un pas de recul pour mieux comprendre les tendances sur le long terme. C’est le travail qu’a récemment réalisé notre équipe, composée de spécialistes en feux de forêt et en écologie forestière.

Nos résultats vont à l’encontre des idées communément reçues : les forêts boréales Nord-américaines brûlaient davantage dans le passé qu’aujourd’hui. Mais avant de dévoiler plus de détails, quelques éléments de contexte et de mise au point nous semblent nécessaires.

Qu’est-ce qui cause un feu de forêt ?

Les scientifiques se sont depuis longtemps posé cette question. Grâce aux recherches des dernières décennies, on peut aujourd’hui résumer la réponse par le trio végétation – météo – déclencheur.

La végétation, ou autrement dit le combustible, est déterminante. Par exemple, les vastes massifs de forêts conifériennes denses sont plus à risque de brûler, en comparaison à des forêts feuillues au sous-bois plus humide, ou à des forêts moins denses.

L’aspect météorologique influence aussi l’inflammabilité du combustible, avec des conditions sèches et venteuses très propices au départ et à la propagation du feu.

Paysage de forêt brûlée en 2010 dans la région de Radisson (Nord du Québec). (Guillaume Avajon), Fourni par l’auteur

Mais l’accumulation de conditions favorables ne suffit pas à engendrer un feu de forêt, il manque un élément déclencheur. Il existe deux types de déclencheurs : la foudre et l’humain. Dans les dernières décennies au Canada, même si l’humain est à l’origine du plus grand nombre de départs de feux, c’est la foudre qui cause les plus grandes superficies brûlées.

Des impacts sur la société

Quand on entend parler de feux de forêt dans les médias, c’est malheureusement souvent de manière tragique pour les communautés. On se rappelle par exemple de la catastrophe de Fort McMurray en 2016, et ses 600 000 hectares partis en fumée et plus de 88 000 personnes évacuées.

Les feux représentent également un enjeu économique pour l’industrie forestière, puisqu’ils consument des millions d’arbres qui étaient destinés à alimenter les usines. Ils accélèrent aussi les changements climatiques, puisque la combustion de la végétation entraîne un relargage massif de CO2 dans l’atmosphère.

Une forte influence sur les écosystèmes, mais pas forcément négative !

Le paysage qu’on observe quelques semaines après un feu nous paraît bien souvent apocalyptique. Les feux de forêt laissent en effet des traces impressionnantes sur les écosystèmes et la biodiversité. C’est le cas pour certaines espèces comme le Caribou forestier, qui dépend de la présence de forêts matures de conifères pour survivre. Les feux représentent donc une menace pour sa survie.

Mais, d’un autre côté, les feux ont toujours fait partie du décor, et sont même parfois indispensables au bon fonctionnement écologique des forêts. La plupart du temps, le paysage brûlé va peu à peu laisser place à de jeunes arbres vigoureux, qui vont croître pour reformer une forêt mature après 50 à 100 ans environ. Certaines espèces d’arbres sont même dépendantes du feu pour se régénérer et donc se maintenir. C’est par exemple le cas du pin gris et de l’épinette noire, dont l’industrie forestière raffole.

De nombreuses espèces animales affectionnent aussi les forêts brûlées. Les troncs calcinés permettent à certaines espèces d’insectes de se nourrir, par exemple le longicorne noir. Les insectes fournissent à leur tour une nourriture abondante pour les oiseaux, comme les pics à dos noir, qui vont même utiliser les chicots (arbre mort dont les racines sont encore ancrées au sol) restés debout pour pouvoir nicher.

Les feux ne sont donc pas nécessairement bons ou mauvais, tout dépend du point de vue. Et, comme bien souvent, il s’agit aussi d’une question d’équilibre…

Comment reconstituer l’histoire des feux des derniers siècles

Les données précises permettant de reconstituer les feux sur l’ensemble du Canada ne remontent qu’aux années 1960. Alors, comment est-il possible de reconstituer l’historique des surfaces brûlées des derniers siècles ? Grâce à l’information contenue dans les arbres eux-mêmes, et plus particulièrement dans leur âge.

En forêt boréale, les feux représentent la principale perturbation naturelle des forêts. En connaissant l’âge des arbres les plus vieux d’une forêt, à condition qu’elle n’ait pas été coupée, on peut donc savoir la dernière fois qu’elle a brûlé.

Une tendance à la baisse des surfaces brûlées au cours des derniers siècles

Nous avons réuni 16 études qui avaient appliqué indépendamment cette même méthode, à différents territoires répartis dans toute la forêt boréale Nord-américaine, de l’Alaska jusqu’au Québec. En réanalysant toutes ces données dans ce que les scientifiques appellent une « méta-analyse », les résultats sont frappants : les forêts boréales Nord-américaines brûlaient bien plus il y a 150 ans qu’aujourd’hui. Sur la période la plus ancienne couverte par nos données, soit entre 1700 et 1850, les surfaces brûlées annuellement étaient de 2 à plus de 10 fois plus importantes par rapport à ce qu’on a pu observer au cours des 40 dernières années.

Pourquoi cette tendance à la diminution sur le long terme ? Difficile à dire dans l’état des recherches actuelles. Évidemment, le climat fait partie des suspects. La période 1700 à 1850, c’était la fin de la Petite Période glaciaire, une période bien connue pour être plus froide, mais aussi probablement plus sèche et donc plus propice aux feux.

Cartographie des feux (en rouge sur la carte) dans les forêts boréales nord-américaines (zone verte sur la carte) depuis 1960. Le graphique à gauche montre le total des superficies brulées par année en millions d’hectares. Au cours de cette période récente, on observe à la fois une grande variabilité d’une année à l’autre, mais aussi une légère tendance à la hausse. (Victor Danneyrolles), Fourni par l’auteur

La végétation aurait aussi pu changer et devenir moins inflammable, notamment à cause des coupes de l’industrie forestière qui sont apparues au cours du XXe siècle. Toujours au cours du XXe siècle, les moyens technologiques et financiers alloués à la lutte contre les incendies n’ont pas cessé d’augmenter et culminent dans les années 1970 avec l’apparition des avions bombardiers d’eau. Ces politiques de suppression des feux auraient donc aussi pu jouer un rôle dans la diminution des feux de certaines régions.

Cependant, les feux ont commencé à diminuer dès le XIXe siècle, donc bien avant que les communautés humaines exercent un impact significatif sur l’environnement des forêts boréales Nord-américaines. Il semble alors plus vraisemblable que le climat a principalement engendré une telle diminution des feux, sur laquelle les impacts humains se sont ensuite superposés.

Ces questions, nous espérons bientôt pouvoir y répondre avec de nouvelles recherches. Mieux comprendre pourquoi les feux ont diminué ou augmenté au cours des derniers siècles, c’est nous donner une longueur d’avance pour mieux prévoir ce qui nous attend avec les changements climatiques futurs.

Victor Danneyrolles, Professeur-chercheur en écologie forestière, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC); Raphaël Chavardès, Postdoctoral fellow, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) et Yves Bergeron, Professeur écologie et aménagement forestier, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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