Avec son tout nouveau balado diffusé sur Radio-Canada OHdio Ainsi soit chill, l’auteur-compositeur-interprète Jérôme 50, de son vrai nom Jérôme Charette-Pépin, fait découvrir une autre facette de sa personnalité aussi loufoque que désinvolte : celle de linguiste en herbe.
Économie de mots, métissage linguistique, verlan, blasphèmes, etc. En cinq épisodes d’une vingtaine de minutes, l’étudiant à la maîtrise en linguistique, qui rédige depuis 2018 un dictionnaire collaboratif sur le parler des jeunes chilleurs et chilleuses en contexte informel urbain, explore le profil du néofrançais dans les centres-villes… égrainant même des capsules linguistiques du radio-canadien émérite Guy Bertrand au passage!
Le créateur de la chanson Sandwich aux tomates est parti à la rencontre des jeunes chilleurs et chilleuses dans leur environnement naturel, sillonnant parcs, stationnements de dépanneur et autres partys d’appartement, muni du parfait arsenal : « le dictionnaire chilleur, une enregistreuse portative, de la Labatt 50 et du pot », énumère celui qui a grandi à L’Ancienne-Lorette à Métro.
Discussion linguistique relaxe avec le roi de La hiérarchill.
Pourquoi avoir voulu faire une maîtrise en linguistique?
Dans le français québécois chilleur, l’infinitif et les participes de la plupart des verbes sont arbitraires. Comme le verbe « chiller »; « on va chill au parc ». Cette question nécessite à mon avis de s’y pencher. Quelque chose se passe dans la morphologie des verbes chez les jeunes en ce moment. Il y a des contraintes phonologiques. C’est pour répondre à cette question qui me hante et qui est importante pour l’avenir du français au Québec que je suis allé à la maîtrise.
Comment as-tu pensé à un dictionnaire?
J’étais dans un party et j’ai fumé un tabarnack de gros batte. Je parlais avec des amis, pis on a dit « yo », « esti », « tabarfuck », « splif », et là je me suis dit que je devais écrire un dictionnaire.
Qu’est-ce qu’un.e chilleur.euse?
Comme j’ai le dictionnaire entre les mains, je vais te lire la définition. « Nom et adjectif. Se dit d’une personne aux mœurs adoucies, qui adopte un comportement désinvolte et nonchalant qui s’adonne régulièrement à des activités récréatives ou sociales notamment relatives à l’art, au vagabondage, au divertissement, aux télécommunications, aux événements festifs, à la consommation de drogue de tous genres ou aux sports de glisse. Comme dans la phrase : “J’ai rencontré une chilleuse vraiment chill dans un chilling.” »
Qu’est-ce que tu dirais aux gens qui trouvent que les jeunes parlent mal?
Aux gérants d’estrade linguistiques, je dirais qu’être en opposition, ce n’est certainement pas la meilleure idée pour assurer la pérennité du français. Il faut essayer de s’écouter et de s’ouvrir aux nouvelles réalités, arrêter d’avoir peur, par exemple, des emprunts à l’anglais. Cette crainte de perdre le français, ça fait longtemps qu’elle dure au Québec, et on l’a toujours pas perdu. Par contre, sur l’île de Montréal, ça parle beaucoup anglais, et c’est le fruit du multiculturalisme de Pierre-Elliott Trudeau. Le français en décroissance à Montréal, c’est pas généré par des faits intralinguistiques, mais extralinguistiques. C’est politique.
Quel est l’apport des communautés culturelles dans le parler des jeunes?
Le créole haïtien est peut-être la source d’influence la plus importante en français québécois chilleur — on va dire après l’anglais. On remarque un changement dans la prosodie, davantage chez les femmes, teintée par celle de l’anglais. Il y a aussi de l’arabe, comme « cheh », dans le sens de « bien fait pour toi ».
Que penses-tu du fait d’employer des mots qui n’appartiennent pas à sa communauté culturelle?
Je pense que c’est bien, que c’est un partage. Je pense que l’ouverture vaut mieux que la fermeture. Les mots qui ont une connotation négative ou qui portent un enjeu délicat peuvent être controversés. Par exemple, le mot nèg en créole haïtien, qui est en usage surtout à Montréal, n’est pas le mot en « n » en français. Ça veut dire « homme » ou « garçon ». Et là, j’ai pris le mot le plus polémique en raison de sa sonorité. À Montréal, la communauté haïtienne l’emploie et l’incorpore au français, mais il y a eu des glissements sémantiques, différents sens à ce mot : « ami », « petit ami »… Je trouve ça surprenant, cet emprunt au créole haïtien, qui est aussi employé par des personnes blanches. Ça peut froisser des gens, mais d’autres vont dire que c’est correct, ce sont des emprunts.
Tu qualifies le parler des jeunes de « génie linguistique ». Comment le décrirais-tu?
Ça se voit notamment dans les glissements sémantiques et dans les dérivés. J’énumère tous les mots de la même famille que chiller, mettons. L’adjectif chill, le nom chill, qui est l’abréviation de chilling. On a aussi chillabilité, chillable, chillage, chillance, chillax, l’adjectif, mais aussi le verbe, chilleur, chilleuse, la location original chilleur, originale chilleure, un chilling sport, chillionnaire, chilitude, chillement, chillness, chillos… Il y a une belle créativité lexicale, je veux rendre hommage à cette créativité linguistique. Et ces innovations sont souvent ignorées.
Qu’as-tu découvert d’inusité au fil de tes rencontres?
Je dirais la méconnaissance de l’origine des mots en usage. Souvent, les jeunes emploient des mots sans connaître leur origine. Et c’est entre autres le rôle du dictionnaire de donner ces informations.