L’image a marqué l’imaginaire : une infirmière a été renvoyée parce qu’elle s’était faite une toast aux beurres de pinottes. Depuis, les exemples de microgestion bureaucratique aberrantes dans le système de santé se multiplient. Ici, une préposée ayant succombé à un beigne. Là, une autre ayant voulu sauver une pointe de pizza des rebuts. On a fait grand cas de l’incompétence des gestionnaires derrière ces décisions, le ministre de la Santé s’est fâché : «On ne fait pas ça!» dit-il en substance, alors que son gouvernement cherche à convaincre les infirmières et autres PAB que c’est… valorisant de travailler pour le système de santé publique.
Mais si l’image choque autant, c’est qu’elle va à l’encontre de tout ce que l’on pourrait espérer comme conditions de travail pour la majorité de femmes qui se sacrifie corps et âme pour ensuite être infantilisées comme des moins que rien.
Voici à quoi ressemble une organisation qui souhaite attirer et retenir son monde en temps de pénurie de main d’œuvre : cette entreprise de logiciels qui offre des congés payés illimités! Cette entreprise qui met un chalet à la disposition de ses employés! Ou encore, cette entreprise qui vient d’ouvrir un restaurant gratuit à la disposition de ses employés pendant que les gestionnaires de CISSS et de CIUSSS comptent les toasts au beurre de pinottes. «Ce ne sera pas une cafétéria. Mais bien un restaurant. On veut que l’ambiance soit celle d’un restaurant. On veut créer un environnement avec une vraie cuisine professionnelle de chef», expliquait le PDG de Lightspeed à La Presse en août dernier, avant d’ajouter : «Dès qu’il y a des difficultés pour embaucher des employés, il faut trouver des conditions hors norme. Pour y arriver, il faut mettre le prix». Le contraste avec les denrées que l’on calcule à la miette en CHSLD est frappant.
Évidemment, de telles conditions de travail coûtent cher. Savez-vous aussi ce qui coûte cher? Le temps supplémentaire obligatoire, les surplus payés aux agences de placement pour combler les pénuries de main d’œuvre, l’embauche, la formation de nouveau personnel, remplacer des infirmières parce que celles qui sont en poste ont été suspendues pour avoir mangé une toast.
Évidemment, les conditions de travail compétitives qu’offre le milieu des technologies s’appliquent difficilement au domaine de la santé, qui requiert une présence physique et qui ne saurait s’embarrasser d’une table de babyfoot ou d’une rampe de skate. Les infirmières et PAB n’en demandent pas tant. Mais la rigidité que nous découvrons cette semaine chez certains gestionnaires du milieu de la santé devrait nous ouvrir sur de nouvelles possibilités. Des toasts. Offrez-leur donc des toasts. Pourquoi pas? Un bon salaire, un ratio patient/bénéficiaire raisonnable, pas de temps supplémentaire obligatoire, et une salle de pause comprenant une belle sélection de pains avec assortiment de tartinades. Ça serait quoi, hein?